On le surnomme «le gentil dragon». À l'émission Dragon's Den, Jim Treliving, copropriétaire de Boston Pizza par l'intermédiaire de T&M Group, a toujours un bon mot, même pour les présentateurs plus faibles. Peut-être parce qu'on a cru en lui à ses débuts. Après tout, son père lui a prêté 5 000 $ pour financer une franchise Boston Pizza, même s'il jugeait que son fils avait «besoin d'un psychiatre plutôt que de financement» !
Diane Bérard - Vous avez du succès en affaires. Et vous avez toujours été populaire auprès des femmes. L'émission télévisée Dragon's Den a fait grimper votre cote auprès d'un autre public, lequel ?
Jim Treliving - (Sourire) Les jeunes. Ils m'abordent régulièrement pour commenter certains épisodes ou me demander mon avis. Chaque fois, je suis impressionné du sérieux de leurs réflexions.
D.B. - Naît-on entrepreneur ou le devient-on ?
J.T. - Je doute que tout soit décidé à la naissance. Encore moins aujourd'hui. La quantité d'information à laquelle les jeunes ont accès grâce à Internet les stimule intellectuellement. Et les modèles de réussite qu'on leur présente nourrissent leurs rêves et leurs ambitions. Cette combinaison de connaissances, d'inspiration et d'aspiration donne de bons entrepreneurs.
D.B. - Comment le gouvernement peut-il stimuler l'entrepreneuriat?
J.T. - En s'assurant que les lois du travail permettent aux entrepreneurs d'accueillir les travailleurs étrangers dont ils ont besoin.
D.B. - Vous estimez que nous avons tous un ou deux talents, pas plus. Quel est le vôtre ?
J.T. - Je sais «lire» les gens. Ce sont mes années dans la Gendarmerie royale du Canada qui m'ont permis de découvrir ce talent et de le perfectionner. Dans ce métier, vous n'avez pas le choix, lire les gens est une question de survie. Si vous ne découvrez pas rapidement les intentions et l'état d'esprit d'un suspect, vous êtes cuit.
D.B. - En quoi ce talent a-t-il été utile en affaires ?
J.T. - Disons qu'il a fallu que je l'adapte. Dans la Gendarmerie royale, je lisais les gens, mais j'entrais peu en relation avec eux. J'étais sur le mode de l'observation. D'ailleurs, mon surnom était «glace», car j'exprimais peu d'émotions. Devenu entrepreneur et restaurateur, je me suis rendu compte qu'il fallait agir autrement. Ce n'était pas des suspects qui franchissaient nos portes, mais bien des clients. Il faut savoir peaufiner votre talent selon les circonstances, sinon vous risquez de le sous-exploiter. Et comme on en possède peu, il faut en tirer le maximum.
D.B. - Vous avez vu des milliers de présentations d'entrepreneurs. Quels conseils pouvez-vous donner ?
J.T. - Choisissez bien le membre de l'équipe qui fera la présentation. N'envoyez pas automatiquement le fondateur ou le pdg. Optez pour celui avec qui l'investisseur aura le plus envie d'être en affaires au quotidien.
D.B. - Au moment d'investir, que recherchez-vous ?
J.T. - Chaque projet, chaque histoire est unique. Je me fie à des critères objectifs et subjectifs. Mais il existe un critère non négociable : j'investis dans des entrepreneurs sur qui je pourrais compter si les choses tournaient mal. Je me souviens de cette jeune femme. Son projet était bien ficelé et elle était brillante. Mais sa façon de répéter «je» et «moi» me disait que nous ne formerions jamais une vraie équipe.
D.B. - Avez-vous une grille d'analyse ?
J.T. - Bien sûr. J'ai trois outils : ma tête, mon coeur et mon instinct. Et je les utilise dans cet ordre. Je commence par écouter avec ma tête. Puis, j'analyse avec mon coeur. Et je me fie à mon instinct pour décider.
D.B. - Avez-vous déjà parié sur des entrepreneurs ?
J.T. - Bien sûr. Il y avait cette jeune femme qui s'est présentée devant nous alors qu'elle était enceinte de neuf mois. Elle et son mari formaient une équipe, mais elle menait visiblement le jeu. Les autres dragons lui ont posé de nombreuses questions. Pas moi. Elle m'a donc interpellé : «Jim, vous ne parlez pas. Quelque chose vous chicote ? Ma grossesse, probablement. Sachez que je compte revenir au travail trois semaines après l'accouchement». Elle avait lu dans mes pensées. J'ai décidé de lui faire confiance en prenant une participation de 20 %. Après trois ans, Steeped Tea réalise des ventes de 2,1 millions de dollars. J'ai gagné mon pari.
D.B. - Pendant Dragon's Den, vous donnez des leçons, mais vous en recevez aussi. Racontez-nous la plus douloureuse.
J.t. - Mon baptême du feu a eu lieu dès le premier épisode. Cette jeune femme avait un projet mal fichu et mes collègues l'ont ridiculisée. À tel point qu'elle s'est mise à pleurer doucement. Ce n'était plus drôle. Après le tournage, j'ai dit : «Je sais que nous sommes à la télé, mais ce n'est pas un jeu. Nous avons devant nous de vrais humains qui étalent leur rêve dans lequel ils ont investi financièrement et émotivement. Il faut les traiter avec respect».
D.B. - Après sa période d'expansion internationale , Boston Pizza s'est retirée de certains marchés. Pourquoi ?
J.T. - Notre expansion internationale a été mal gérée. Comme plusieurs entrepreneurs, nous avons été naïfs et arrogants. Nous avons supposé que notre succès était exportable partout. Nous n'avons pas pris le temps de comprendre les cultures où nous nous déployions. Et nous avons pensé que tout pouvait être géré du siège social. Nous nous sommes donc retirés du Japon et de Taïwan. Nous nous concentrons sur le Canada, les États-Unis et le Mexique.
D.B. - Quelles leçons avez-vous tirées de cette expansion ?
J.T. - Prenez le temps de comprendre les enjeux sociaux des marchés que vous visez. Voyez au-delà de la fiscalité, des lois et de la situation économique. Trouvez des personnes ressources locales pour vous expliquer ces réalités. Et recrutez toujours une équipe locale ; ne transplantez pas des employés du siège social. Et faites confiance. Chaque entreprise a sa culture, certes. Mais il faut laisser à chaque équipe la liberté d'adapter votre produit ou votre service aux spécificités de la collectivité.
D.B. - Il y a cinq ans, vous avez investi dans la chaîne d'entretien automobile M. Lube. Votre investissement était conditionnel au départ des fondateurs. Pas facile à faire accepter...
J.T. - Peut-être, mais aujourd'hui, ces fondateurs sont ravis de la croissance qu'apporte la nouvelle équipe ! Quand une entreprise atteint un plateau ou qu'elle connaît des difficultés, il faut habituellement professionnaliser l'équipe et les méthodes. Recruter des spécialistes et des gestionnaires plus aguerris. La décision appartient au fondateur. Mais s'il veut des investisseurs, il sait ce qu'il doit faire.
D.B. - Avez-vous un dernier conseil à donner à nos lecteurs ?
J.T. - Restez dans votre carré de sable ! La pire campagne de marketing jamais présentée par Boston Pizza était une de mes idées. Alors que l'équipe de marketing travaillait tard, je me suis joint à ses membres. Ils cherchaient une idée de campagne récompense. J'ai proposé «Voyage à Hawaï», inspiré de notre mets le plus populaire : la pizza hawaïenne. Lorsque vous en commandiez une, vous étiez admissible au voyage. C'était stupide. On n'organise pas un concours pour promouvoir les produits populaires. On promeut les produits qui sous-performent.