Le marché du travail est en train de vivre une de ses plus profondes transformations. Jadis, le travail était une réponse à une quête de confort et de bonheur. Les travailleurs cherchaient principalement un salaire et un cheminement de carrière. Aujourd'hui, le travail est aussi motivé par une quête de sens. Une nouvelle génération de travailleurs cherche davantage dans son travail une identification à ses valeurs personnelles et une appartenance à un mouvement.L'innovatrice pdg de PepsiCo, Indra Nooyi, confiait récemment au magazine Fast Company que la mission de l'entreprise était «Performance With Purpose» (performance avec sens). Plusieurs ont présumé qu'il s'agissait là d'une manière d'ajouter un volet de responsabilité sociale au sein de l'entreprise. La pdg rétorqua qu'en fait, il ne s'agissait «pas de revoir la manière de dépenser l'argent que Pepsi fait, mais plutôt de revoir comment Pepsi fait de l'argent».
En d'autres mots, il n'était pas question d'octroyer plus ou moins d'argent à une cause philanthropique en particulier, mais fondamentalement d'offrir une boisson plus saine dans un emballage plus écologique. La pdg pense qu'à long terme cette stratégie sera gagnante à la fois pour ses investisseurs, ses clients et ses employés. Plus spécifiquement, elle croit que ses travailleurs seront davantage motivés de travailler pour une entreprise qui place ses valeurs au coeur de son produit et de ses activités.
Elle n'est pas la seule. Des milliers d'entreprises, petites et grandes, ont de plus en plus des stratégies ancrées dans les valeurs et les croyances des entrepreneurs qui sont à leurs têtes.
Dans les dernières années, la conférence C2MTL nous a fait découvrir plusieurs personnalités d'affaires qui entreprennent avec leurs valeurs avant tout, telles que Blake Mycoskie, de Toms Shoes, John Mackey, de Whole Foods, Mohammad Yunus, de Grameen Bank, et la Canadienne Zita Cobb, du Fogo Island Inn. Le Québec n'est pas non plus dépourvu d'entrepreneurs qui ont de grandes valeurs. Je cite fréquemment à cet égard les exemples de Christine Renaud, d'E-180, Fabrice Vil, de Pour 3 Points, et Cai Rinthoul, de Provender.
Tous ces entrepreneurs ont une chose en commun : la recherche de quelque chose de plus grand que soi. La performance, c'est très bien, mais qu'y a-t-il au-delà ? Ceux-ci ont tous une vision optimiste et idéaliste du futur, et tout en restant pragmatiques, ils mesurent leur progrès en matière d'impact sur la société. Ce sont tous aussi de véritables ambassadeurs pour leurs causes. Leurs missions d'entreprise et leurs missions de vie sont souvent fortement alignées les unes sur les autres.
Souvent, la vie d'entrepreneur force un peu ce choix. Le parcours entrepreneurial n'est pas toujours facile ni payant, surtout au début, et il est souvent parsemé d'embûches. Pour persévérer dans son projet, il faut vraiment y croire ! Un investisseur américain en capital de risque confiait récemment que, quand venait le moment de se pencher sur un nouveau dossier d'investissement, sa question principale pour un entrepreneur était : «Pourquoi es-tu prêt à passer 5 ou 10 ans de ta vie sur ce projet ?» Souvent, pour réussir, il faut être prêt à passer de nombreuses années et à croire à son projet au point de ne pas pouvoir imaginer la société sans celui-ci. Pour avoir cette conviction, il faut généralement que le projet en question soit un reflet de ses valeurs personnelles.
Alors, comment faire pour entreprendre selon ses valeurs ?
1 Établir sa raison d'être
La première étape du cheminement est de définir aussi clairement que possible sa raison d'être. Pour un individu, il s'agit de se demander quelles sont ses valeurs profondes ? Pour une organisation, une entreprise ou une initiative, il s'agit de se demander pourquoi elle existe ? Est-ce un projet en démarrage ? Pourquoi existerait-il ? Comment améliorerait-il la société ?
2 Communiquer et mobiliser
Il faut communiquer cette raison d'être avec authenticité aux membres de l'organisation. Typiquement, c'est le rôle de l'entrepreneur ou du leader. Le but est d'inspirer et de créer une certaine adhésion au mouvement et aux valeurs sous-jacentes, plutôt que de simplement convaincre.
3 Créer le bon environnement
Il faut créer un environnement propice à la réalisation de la mission au quotidien. Le produit, les ressources humaines, le financement... tout doit être arrimé à la raison d'être profonde de l'organisation.
4 Valeurs et bénéfices
L'effort en vaut toutefois la peine. Entreprendre avec ses valeurs, c'est aussi une stratégie d'affaires qui peut générer un immense avantage concurrentiel. Parmi ces bénéfices :
> Différenciation du produit. Un produit qui est le reflet de valeurs a souvent tendance à sortir du lot et à être perçu vraiment différemment dans le marché, ce qui est de plus en plus important avec l'océan de choix proposés aujourd'hui. Toms Shoes a pratiquement créé une nouvelle catégorie de souliers aux yeux des consommateurs. Dans la même veine, la montréalaise Tshu, qui offre des mouchoirs fabriqués localement et qui plante un arbre pour chaque mouchoir vendu, se démarque naturellement des autres offres sur le marché.
> Motivation et rétention des employés. Avec une force de travail hautement mobile, les employés peuvent se déplacer plus rapidement que jamais d'une boîte à l'autre. Un haut degré d'identification aux valeurs d'une entreprise augmentera leur engagement et leur loyauté.
> Performance financière. Par exemple, la chaîne d'alimentation biologique Whole Foods est l'une des plus rentables et des plus appréciées de ses employés aux États-Unis. Cela se traduit souvent par une loyauté accrue des investisseurs.
Mettre ses valeurs au plein coeur de son produit et de ses activités, c'est une nouvelle tendance en gestion qui changera bien des choses dans les années à venir. Plus tôt ce mois-ci, l'événement Je vois Mtl a invité tous les Montréalais à entreprendre des projets qui s'alignaient sur une cause ou une valeur personnelle. C'est un excellent départ. Plus nos initiatives seront le reflet de nos valeurs, mieux notre société s'en portera. À terme, avec assez de gens qui entreprennent avec leurs valeurs, on réduira l'écart entre cette société idéale que nous voudrions tous léguer à la prochaine génération et celle dans laquelle nous vivons maintenant.
LP Maurice est pdg et cofondateur de Busbud, une entreprise de commerce électronique spécialisée dans le voyage en autobus interurbain partout dans le monde. LP travaillait auparavant dans la Silicon Valley, chez Yahoo et LinkedIn, et a un MBA de l'Université Harvard. Il est aussi un capital-risqueur et un mentor actif dans la communauté start-up montréalaise. Il est le récipiendaire du prix Arista 2014 «Entrepreneur de l'année» (démarrage) et a été nommé NYC Venture Fellow 2014. Pour le suivre sur Twitter : @lpmo