Vous croyez qu'une entreprise dont vous êtes actionnaire vous a fait perdre de l'argent en vous dissimulant de l'information ? Les critères vous autorisant à la poursuivre sont désormais mieux balisés.
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En 2010, Roger St-Germain détient 190 000 actions de Theratechnologies. Cette pharmaceutique montréalaise compte lancer aux États-Unis un médicament, la tésamoréline, qui réduit l'excès de gras abdominal chez les patients atteints du VIH. Le 25 mai 2010, la Food and Drug Administration (FDA) - l'équivalent américain de Santé Canada - adresse à un comité d'experts certaines questions, évoquant de possibles effets secondaires. Ces interrogations sont rendues publiques, et le prix des actions de la société s'effondre de 58 %. M. St-Germain décide alors, comme plusieurs autres actionnaires, de vendre ses parts.
Or, deux jours plus tard, la FDA approuve le médicament et les actions se rétablissent. M. St-Germain a perdu près de 300 000 $. Au total, les actionnaires qui ont vendu accusent une perte de près de 10 millions de dollars. Furieux, M. St-Germain souhaite intenter un recours collectif contre Theratechnologies. Selon lui, l'entreprise a manqué à son obligation d'information à l'égard des actionnaires, notamment en ne publiant pas de communiqué de presse qui réponde aux questions de la FDA.
Des recours plus faciles
Depuis 2007 au Québec, la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) comprend des dispositions qui facilitent la tâche des investisseurs lors de procès contre une entreprise qui leur aurait fait perdre de l'argent en émettant une fausse déclaration ou en cachant une information.
«Cette approche inverse le fardeau de la preuve, explique Pierre Lefebvre, avocat et associé chez Fasken Martineau, qui a représenté Theratechnologies dans cette cause. Pour gagner un procès civil, le demandeur doit démontrer la faute, le dommage et le lien entre les deux. Dans le nouveau régime de la LVM, les investisseurs n'ont plus à établir que la chute du prix d'un titre est liée à la mauvaise communication de l'entreprise, ni même qu'ils se sont fiés à cette communication pour acheter ou vendre un titre. C'est au défendeur de démontrer que ce lien n'existe pas.»
Afin d'éviter les poursuites abusives, le gouvernement québécois prévoit, dans l'article 225.4 de la LVM, un mécanisme d'autorisation. Pour que le demandeur ait accès à ce régime de la LVM, un juge doit s'assurer que l'action est intentée de bonne foi et que le demandeur a une possibilité raisonnable d'avoir gain de cause. Cependant, ce mécanisme d'autorisation n'avait jamais vraiment été testé avant l'affaire Theratechnologies, et son application restait peu balisée.
Un procès avant le procès ?
Dans un cas comme celui de Theratechnologies, M. St-Germain devait donc prouver que l'information au coeur du litige avait eu un impact sur la valeur de l'action et qu'elle constituait un changement important dans l'activité, l'exploitation ou le capital de l'entreprise. Si la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec ont accepté sa requête, la Cour suprême du Canada l'a quant à elle refusée.
La grande différence entre ces jugements se situe sur le plan de l'appréciation du fardeau de la preuve lors de l'étude de la demande d'autorisation, selon M. Lefebvre. La Cour supérieure et la Cour d'appel se refusaient à faire «un procès avant le procès» et à regarder une preuve très étayée. Au contraire, la Cour suprême a jugé que le demandeur devait apporter une preuve solide qu'il y avait eu un changement important dans l'activité, l'exploitation ou le capital de Theratechnologies, engendrant une obligation d'information. Comme, selon elle, M. St-Germain ne fournissait pas cette preuve, il n'avait aucune possibilité raisonnable de gagner sa cause. Il n'a donc pas été autorisé à intenter son recours.
«Ce jugement balise le processus d'autorisation d'un tel recours, indique M. Lefebvre. Il est clair qu'un demandeur doit fournir une preuve suffisante pour étayer ses chances raisonnables de succès, et que le juge doit procéder à une réelle analyse de cette preuve.»
La cause fait jurisprudence. En juillet dernier, en Ontario, elle a été citée dans une affaire (Coffin v. Atlantic Power Corp.) où le demandeur s'est lui aussi vu refuser le droit à un recours collectif.
Enjeux juridiques
Série 4 de 6. Cette série mensuelle présente des jugements qui font jurisprudence dans le monde des affaires.
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