La technologie du blockchain (registre des transactions) est en ascension et soulève de nombreuses questions dans plusieurs secteurs d'activité. La comptabilité ne fait pas exception : le blockchain bouleversera le métier, mais offrira de nombreuses occasions d'affaires.
Face à cette technologie qui permet de réaliser des transactions sans intervention humaine mais sécurisées et transparentes, il y a des inquiets et des enthousiastes. Emilio Imbriglio, président et chef de la direction du cabinet Raymond Chabot Grant Thornton, fait partie de ces derniers : «Il ne faut pas avoir peur de cette évolution. Dans le chaos et le changement, il y a toujours des opportunités.».
Il reste que le blockchain «pourrait occasionner des changements importants auxquels les comptables professionnels agréés devraient se préparer», prévient Alan Wunsche, pdg de la firme-conseil Leading Knowledge, dans un rapport rendu public par CPA Canada.
«Une partie de notre profession est menacée par l'automatisation prévisible de certains processus», convient Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l'Ordre des CPA du Québec.
De ce fait, cette technologie «pourrait transformer les pratiques en matière de tenue des comptes, de communication de l'information et de certification», indique Alan Wunsche.
Ce dernier explique que, par exemple, «les entreprises qui l'utilisent pourraient mener en continu des audits internes de leurs processus, générer une piste d'audit et obtenir une analyse de leurs comptes en appuyant simplement sur un bouton».
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Une évolution plutôt qu'une révolution
Dans ce cas, quel sera le rôle du CPA dont une des tâches au coeur de son métier est de certifier les états financiers des entreprises ?
«Les CPA ne vont pas disparaître, mais leur travail va évoluer comme ça a déjà été le cas avec l'automatisation de nombreuses tâches manuelles, dont l'entrée de données», explique Serge Principe, associé directeur de Mazars, un cabinet comptable de Montréal, qui compte 120 employés.
Si les CPA doivent s'attendre à voir leur profession changer, «il s'agit plus d'une évolution que d'une révolution», tempère Antonello Callimaci, vice-doyen aux études à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.
La profession est habituée à s'adapter aux évolutions technologiques qui ont déjà beaucoup modifié le travail des CPA au quotidien. Par exemple, les fiscalistes n'entrent plus leurs données à la main et utilisent des logiciels pour calculer les différents scénarios, mais ces logiciels alimentent leur réflexion et leur permettent de prendre la meilleure décision pour leurs clients.
Plus de temps pour les tâches à valeur ajoutée
Toutes les tâches effectuées par le CPA ne sont pas automatisables. «Il faudra toujours un CPA pour interpréter, estimer et faire des choix», fait valoir Geneviève Mottard.
«Il ne faut pas prendre en compte seulement les besoins financiers, mais aussi les aspects émotifs d'une situation humaine qui poussent à prendre des décisions différentes à partir des mêmes données financières en fonction du contexte et des objectifs du client. Tout n'est pas rationnel», explique Antonello Callimaci.
De plus, l'arrivée de cette nouvelle technologie pose de nombreuses questions sur le risque de fraude, l'exactitude des données entrées dans le système, etc. Si bien que «les CPA auront un rôle, certes un peu différent, mais accru dans certains domaines. On aura plus de travail de contrôle et de validation», avance Audrey Mercier, vice-présidente chez Richter.
Finalement, le blockchain «va sûrement déplacer le rôle des CPA vers le conseil», juge Emilio Imbriglio, ravi de voir «qu'en éliminant les tâches répétitives, on aura plus de temps pour les travaux à plus grande valeur ajoutée». Les CPA pourront se consacrer à la prise de décision, à l'analyse des enjeux, à la stratégie.
Le blockchain pourra également apporter des améliorations au système actuel. «Aujourd'hui, en juricomptabilité, il n'est pas toujours possible de tout surveiller, de faire les recoupements qui sont nécessaires à un contrôle exhaustif, ce que permettra davantage le blockchain. Il ne prendra pas de décision, mais nous donnera plus d'informations pour prendre de meilleures décisions», précise Audrey Mercier.
Difficile de savoir quand ces changements auront lieu et quelle sera leur ampleur, car celle-ci dépendra du taux d'adoption de la technologie. «Beaucoup de questions restent à trancher sur le respect de la confidentialité, l'adoption de normes internationales, l'approbation de ces processus par les gouvernements à l'échelle internationale», souligne Emilio Imbriglio. Mais les experts n'ont aucun doute sur la venue de cette technologie de rupture ni sur les perturbations qu'elle générera.
C'est pourquoi «il faut s'y préparer», croit Serge Principe.
Conscient de la transformation à venir, l'Ordre des CPA a pris les devants. «On prépare nos membres, notamment ceux qui sont seuls dans leur cabinet, à cette perspective, dit Geneviève Mottard. On organise des colloques, on envoie de l'information. On est en train de préparer un guide sur les outils virtuels. On incite également nos membres à revoir leur modèle d'entreprise. Par exemple, les cabinets qui n'ont pas de savoir-faire à l'interne en technologies de l'information doivent réfléchir à l'avenir.»
De nouvelles compétences
Persuadée de l'évolution prochaine de la profession, Geneviève Mottard croit qu'une révision de la grille de compétences des CPA est incontournable. «Il faudra que les CPA aient des compétences différentes de celles exigées aujourd'hui», affirme-t-elle.
Les cabinets comptables se préparent en mettant en place des groupes de réflexion et en testant des solutions novatrices issues de la technologie du blockchain. De plus, ils accentuent leur ancrage dans les services professionnels diversifiés qui peuvent offrir une valeur ajoutée qu'un processus automatisé ne pourra pas procurer.
Les firmes prennent le virage aussi pour leurs clients. «Le changement, c'est bon pour nous, lance Nicolas Marcoux. On voit dans le blockchain une occasion d'accompagnement de nos clients : on doit les y sensibiliser et expliquer cette transformation à venir. Quand il y a des ruptures comme celles-ci, les gens ont besoin de firmes comme la nôtre pour les guider, les accompagner.»
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