Le juge de la Cour supérieure du Québec David R. Collier a rejeté vendredi la demande en injonction interlocutoire provisoire qui visait l’entreprise Northvolt. Celle-ci pourra donc reprendre les travaux d’abattage d’arbres sur son terrain.
La demande avait été déposée par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et trois citoyennes.
«S’il y a un intérêt public à la protection de l’environnement, il y a également un intérêt public à protéger la sécurité juridique des activités autorisées par l’administration publique», a notamment écrit le juge dans sa décision.
Deux projets différents
Les juristes du CQDE faisaient valoir qu’il y a quelques mois, «la destruction de milieux humides au même endroit avait été refusée» dans le cadre d’un autre projet et que «les experts du ministère» évoquaient à l’époque «l’importance de ces milieux pour la région et pour la biodiversité».
Or, selon le juge Collier, il importe de souligner que «le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire au cas par cas, selon chaque projet proposé» et que la loi ne prévoit pas «que le ministre, en refusant de délivrer une autorisation sur un site donné, lie son pouvoir discrétionnaire pour l’avenir sur ce même site».
Le juge a souligné que le principal motif qui avait mené au refus du projet en mars 2023 était «l’atteinte significative et irréversible à des milieux humides constituant un habitat de nidification potentiel pour le petit blongios», une espèce d’oiseau menacée. Or, le projet de Northvolt n’empiétera «pas sur les milieux humides qui servent d’habitat potentiel pour la nidification du petit blongios», selon le juge.
Le fardeau qui incombe aux demanderesses est lourd
La partie demanderesse a fait valoir que le ministère de l’Environnement a autorisé Northvolt à débuter les travaux sur le site de la future usine en Montérégie, sans connaître précisément l’impact sur la biodiversité, et sans que Northvolt présente un plan de compensation détaillé.
Selon la décision du tribunal, l’argument selon lequel la décision du ministre passe sous silence la situation d’espèces à statuts précaires «a été avancé avant même que les demanderesses ne prennent connaissance des documents du ministère». Or, selon le juge, «ces documents, dont un avis faunique» préparé par le ministère, «démontrent que le ministre a tenu compte de la situation de la faune se trouvant sur le site de Northvolt».
Concernant l’argument selon lequel le ministre a délivré une autorisation ministérielle à Northvolt sans que celle-ci ne fournisse de plan détaillé de compensation pour pallier les impacts du projet sur la biodiversité, le juge Collier est d’avis que «le ministre ne donne pas un chèque en blanc à Northvolt». Le juge a souligné que Northvolt devra «acquérir un terrain voisin de 18 hectares (ha) pour créer un milieu naturel total de 94 ha dans le secteur du projet» ou créer, restaurer ou conserver «un milieu naturel d’une superficie de 50 ha ailleurs dans la région pour l’utilisation par la faune».
La partie demanderesse soutenait également que la Ville de Saint-Basile-le-Grand a délivré un permis d’abattage d’arbres à Northvolt en se basant sur une «interprétation déraisonnable» du règlement de contrôle intérimaire (RCI) de la communauté de métropolitaine de Montréal concernant les milieux humides.
Mais «le fardeau qui incombe aux demanderesses est lourd. Or, de l’avis du Tribunal, les demanderesses n’ont pas réussi à remplir ce lourd fardeau. Elles n’ont pas réussi à faire valoir un droit apparent voulant que les actes posés par le ministre et la municipalité soient déraisonnables à première vue. Pour ce motif, leur demande en injonction interlocutoire provisoire sera refusée», peut-on lire dans la décision du juge.
Un projet «d’une grande importance»
Dans la conclusion de sa décision, le juge Collier reconnaît que «si l’injonction n’est pas délivrée, il y a lieu de croire que des milieux humides ayant une superficie de 13,8 ha (138 162 m2) seront détruits ou dégradés sur le site de Northvolt» et qu’il y aura «perte d’un milieu naturel à la fois rare et important pour l’environnement de la région».
Il ajoute toutefois que «cette perte sera compensée par le paiement d’une somme de 4,7M$ par Northvolt qui servira à la restauration ou à la préservation d’autres milieux humides».
Le juge a également souligné que «le gouvernement du Québec estime que le projet Northvolt est d’une grande importance pour l’économie de la province et qu’il créera 3000 nouveaux emplois lorsque l’usine sera construite».
Réactions
Dans un communiqué, le CQDE a indiqué qu’il allait prendre le temps d’analyser le jugement avec ses avocats pour «confirmer s’ils vont débattre, le plus rapidement possible, de la demande d’injonction interlocutoire pour demander une nouvelle suspension des travaux, le temps de faire la lumière sur ce projet».
L’entreprise Northvolt a également réagi en publiant un communiqué dans lequel elle écrit qu’elle a dû «faire la démonstration rigoureuse et sérieuse auprès des experts du MELCCFP et de la Ville de St-Basile-le-Grand» que son projet respectait la réglementation environnementale en vigueur» et que «des études et analyses sérieuses ont été réalisées et de nombreuses conditions strictes ont été remplies pour l’obtention de ces permis».
Northvolt a indiqué qu’elle allait poursuivre, «dès aujourd’hui», les travaux préparatoires sur son site.
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, à qui la partie demanderesse reprochait de manquer de rigueur dans le dossier, a souligné sur les médias sociaux qu’il prenait acte de la décision rendue.
«Nous avons l’un des cadres d’évaluation environnementale des plus rigoureux en Amérique du Nord. L’analyse environnementale réalisée par mon ministère n’y fait pas exception!», a écrit le ministre.
Le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada a également réagi à la décision sur le réseau social X.
«Nous avons choisi Northvolt pour bâtir au Québec les batteries les plus vertes au monde, car c’est un partenaire qui partage nos valeurs de protection de l’environnement», a indiqué François-Philippe Champagne, ajoutant que la décision du juge «permettra à la construction de reprendre et d’avancer vers les prochaines étapes».
Stéphane Blais, La Presse Canadienne
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