Le secteur manufacturier beauceron reprend son souffle après avoir touché un creux en 2009, victime de la récession et de la parité des dollars canadien et américain ces dernières années.
Pour la première fois depuis 2009, les exportations beauceronnes sont en hausse, même si, à un milliard de dollars, elles n'ont pas rejoint le sommet de 2002 (1,6 G$). L'autre bonne nouvelle, c'est que la valeur de la production a atteint un sommet en 2013, à 4,17 G$, et les entrepreneurs, après s'être placés sur le mode de la survie, réinvestissent massivement pour accroître leur productivité, selon une étude menée par le Conseil économique de Beauce et les CLD Robert-Cliche et de La Nouvelle-Beauce.
«On ne s'attendait pas à des investissements si élevés, souligne Claude Morin, président du Conseil économique de Beauce. Dans Beauce-Sartigan (une des trois sous-régions beauceronnes), les investissements sont passés de 39 millions de dollars à 68 M$ en deux ans. Ça ne s'est pas vu depuis 2000.»
Les scieries comptent parmi les entreprises qui investissent le plus, à la faveur d'une lente reprise du secteur de la construction aux États-Unis, où le parc immobilier reprend l'équilibre.
«On réinvestit 5 M$ dans les équipements cette année, dit Carmin Hamel, président de la scierie Clermond Hamel, ainsi que de Bois Hamel à Saint-Éphrem. On investit dans des robots pour tailler des pièces, ce qui permettra de produire dix fois plus que manuellement.»
L'entrepreneur, à la tête d'une entreprise familiale qui a 120 ans d'histoire, s'est lancé dans des produits à valeur ajoutée pour traverser la crise, qui a fait baisser le chiffre d'affaires de près de 25%. Outre le bois de construction, il a commencé à fabriquer des chalets en pièce sur pièce, ce qui lui a permis de diversifier ses marchés et d'atteindre en 2013 un chiffre d'affaires plus élevé qu'avant la crise, soit 32 M$. Avec l'acquisition d'une scierie voisine à la fin de la dernière année, la croissance se poursuivra.
Même si l'avantage du taux de change est partiellement revenu, M. Hamel considère qu'il est impératif d'investir dans la modernisation de ses équipements.
«On fait en sorte d'utiliser moins de main-d'oeuvre en modernisant. On n'a pas le choix. Pour rester concurrentiels et parce qu'il manque de personnel. Si on est incapables de suffire à la demande, les clients s'en vont ailleurs», remarque l'entrepreneur, qui emploie 125 travailleurs.
«Les entreprises qui autrefois embauchaient des employés avec formation et expérience les embauchent aujourd'hui sans cela, parce qu'elles ne trouvent pas de personnel qualifié. Elles doivent donc former les gens elles-mêmes, alors qu'elles ont quand même besoin d'être efficaces», note Kathleen Giguère, directrice du CLD de La Nouvelle-Beauce.
«Dans un contexte de pénurie de main-d'oeuvre en Beauce, ce n'est pas demain qu'on verra 500 emplois se créer d'un coup... Même si on crée de bons emplois, sera-t-on capable d'attirer le personnel? s'interroge Claude Morin. Il faut aller chercher de la main-d'oeuvre issue de l'immigration ou croître par acquisitions. Ce sera une recette de croissance différente au cours des prochaines années.»
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Des acquis sur les marchés locaux
Un des défis des entreprises manufacturières beauceronnes sera de saisir les nouvelles occasions d'affaires aux États-Unis, tout en conservant les marchés québécois et canadien développés ces dernières années pour survivre à la crise, quand le marché américain était devenu plus protectionniste. Avec une pénurie de main-d'oeuvre (le taux de chômage était à 4,2% en avril, dans Chaudière-Appalaches), il faudra être aussi ambitieux qu'ingénieux.
«Travailler aux États-Unis est, à certains égards, plus facile, parce qu'il y a de grosses commandes pour moins de clients, donc c'est moins lourd à gérer. De plus, les marges bénéficiaires sont plus élevées à cause du taux de change. Ce serait maladroit toutefois de délaisser le marché canadien. Les plus sages voudront sauvegarder ce marché pour s'assurer un certain revenu», estime M. Morin.
C'est ce qu'entend faire le fabricant de canots Esquif, à Frampton. Le propriétaire Jacques Chassé se félicite d'ailleurs d'avoir su diversifier ses marchés avant la crise, sans quoi il aurait fait faillite. Le Canada lui a assuré une stabilité de revenus, tandis que le nouveau marché de l'Europe a partiellement compensé les pertes aux États-Unis, où les exportations sont passées de 30 à 9% du chiffre d'affaires en 2009.
«Des fois, l'instinct nous sauve. Aller en Europe était plus instinctif que cartésien, car nous sommes à proximité d'un marché de 300 millions d'habitants que nous étions encore en train de développer», souligne M. Chassé.
Le réseau de ventes d'Esquif au sud de la frontière est complètement tombé; tout est à reconstruire. Les commerces familiaux qui offraient ses produits ont été emportés par la crise, et 10 ans d'efforts et d'investissements dans la mise en marché ont été anéantis.
Esquif a maintenu 80% de son chiffre d'affaires d'avant la crise en diversifiant ses marchés, mais il a fallu supprimer des emplois et améliorer l'efficacité de l'usine pour survivre. Tous les procédés ont été revus pour pouvoir produire de petites quantités de chaque modèle, répondre à des demandes ponctuelles et réduire les stocks.
«On fabrique aujourd'hui le même nombre d'embarcations avec moins de monde», constate l'entrepreneur, qui donne du travail à une quinzaine de personnes.
Faire plus avec moins, toute la Beauce s'y est mise. La valeur de la production manufacturière a été à peu près la même en 2013 qu'en 2002, mais avec 6 000 emplois en moins.
Les investissements ont augmenté de 24% dans la dernière année, et Claude Morin espère qu'ils ne sont pas que l'effet d'un nécessaire rattrapage en productivité. Trop d'entreprises de la région étaient profitables grâce au seul avantage du taux de change. Quand cet avantage a fondu, il a fallu réagir. Mais maintenant qu'il revient, est-ce que les entrepreneurs considéreront encore comme nécessaire de rester à la fine pointe de la technologie?
Fournisseur de ses propres concurrents
«Un point qui m'inquiète par rapport à ça, c'est la courbe démographique, dit M. Morin. Les baby-boomers sont sur la voie de la sortie. Ils ont développé leur marché, ils ont grossi. Vont-ils encore donner un gros coup avant de partir?»
C'est ce que fait actuellement Jacques Chassé chez Esquif. Son fournisseur de matières premières pour la fabrication des canots s'apprête à fermer boutique, victime de la crise. M. Chassé a donc décidé d'investir 250 000$ pour ouvrir une usine de plastique: une solution pour continuer et croître. C'est lui désormais qui approvisionnera les fabricants de canots concurrents.
«Je ferai des profits chaque fois qu'ils vendront un canot. Ce que les autres ont perçu comme une menace, j'en fais une occasion. Ça fera tripler le chiffre d'affaires d'Esquif», se réjouit l'entrepreneur de 55 ans, qui prépare doucement deux enfants à la relève, dans un horizon de 8 à 10 ans.
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