Gains d’efficacité, produits de meilleure qualité, rentabilité et compétitivité accrues, sans parler de la résolution des problèmes engendrés par la pénurie de main-d’œuvre… Des usines de transformation du bois ont investi, au fil des décennies, dans les hautes technologies pour moderniser leur processus de production, et elles en récoltent aujourd’hui les fruits. Un cas d’école qui pourrait inspirer d’autres industries à en faire autant.
SAINT-ÉPHREM-DE-BEAUCE. Tout est bruyant et en mouvement dans la scierie de Clermond Hamel, le long de la route 271. Les billes de bois circulent sur des convoyeurs pour être triées, sciées, classées, puis empaquetées. Une chorégraphie bien rodée, comme dans une ruche. Sauf qu’il y a peu d’«abeilles» ici, car dans la dernière décennie, la PME a investi 30 millions de dollars (M$) pour automatiser ses procédés.
«Depuis 10 ans, on a doublé notre production, mais avec le même nombre d’employés», dit en criant le directeur de l’usine, David Hamel, afin de se faire comprendre dans tout le vacarme ambiant.
L’entreprise familiale, qui emploie 80 personnes, ne se considère pas encore 4.0, mais plutôt 3.5, car les machines ne communiquent pas encore entre elles. Mais elles le pourront bientôt, assure David Hamel.
Grâce à ces investissements, Clermond Hamel est beaucoup plus efficace, sa marge bénéficiaire est plus élevée en plus d’avoir réduit le nombre d’accidents du travail puisqu’il y a moins d’interventions humaines dans ses procédés. Le recrutement est aussi plus facile, car les postes sont plus techniques et donc plus valorisants.
Lors de notre visite, nous avons par exemple vu un travailleur assis derrière une console, avec une vue sur la chaîne de production, regardant des écrans d’ordinateur qui affichaient des indicateurs, tout en actionnant un manche pour manipuler des équipements qui convoyaient des billes de bois.
«Si on n’avait pas fait ces investissements, on aurait des problèmes de main-d’œuvre», affirme David Hamel.
Des investissements payants
L’automatisation de la production, comme chez Clermond Hamel, est loin d’être une exception dans l’industrie forestière. D’autres scieries ont investi au fil des ans pour se moderniser afin d’être plus efficaces, souligne Jean-François Samray, PDG du Conseil de l’industrie forestière (CIFQ).
«C’était avant tout une question de survie», dit-il au téléphone.
Elles n’avaient pas le choix pour demeurer compétitives dans un marché souvent difficile en raison des fortes variations des prix du bois, de la pénurie de main-d’œuvre et de la concurrence des nouvelles scieries américaines hypermodernes.
Des investissements payants puisqu’en 30 ans, les scieries québécoises ont fait des gains d’efficacité importants, explique Carl Gilbert, directeur de portefeuille à l’investissement pour les secteurs des ressources naturelles, de la construction et des matériaux de construction au Fonds de solidarité de la FTQ.
Pour illustrer son propos, il donne l’exemple du rendement matière des scieries, un étalon de mesure phare dans l’industrie.
En 1990, une scierie au Québec avait besoin, en moyenne, de 5 mètres cubes de bois pour produire 1000 pieds mesure de planche (pmp). En 2019 (l’année la plus récente pour l’ensemble de l’industrie), ce chiffre était descendu à 3,82 mètres cubes.
«Les usines les plus efficaces réussissent même à atteindre de 3,3 à 3,4 mètres cubes, mais il reste encore du chemin à parcourir», précise Carl Gilbert.
Pour se moderniser, les scieries ont non seulement automatisé leurs chaînes de production, mais elles ont aussi installé des caméras optiques et des technologies d’intelligence artificielle afin d’optimiser la rapidité et la qualité du processus.
Tirer la valeur maximale de chaque planche
Plusieurs usines font donc plus avec moins, mais elles sont aussi en mesure de faire beaucoup mieux avec la même matière première, en créant ainsi davantage de valeur ajoutée.
La nouvelle usine de rabotage de Matériaux Blanchet, à Saint-Pamphile, un village de Chaudière-Appalaches, collé à la frontière du Maine (il y a même un poste frontalier qui débouche dans la cour à bois de la PME), en est un bel exemple.
Nous avons roulé près de 135 kilomètres sur la route 204 reliant Saint-Georges à Saint-Pamphile, à travers la chaîne de montagnes des Appalaches et de nombreux petits villages, afin d’aller la visiter.
«On va chercher la valeur maximale dans chaque planche. C’est ça le vrai gain», dit Patrick Leblanc, vice-président aux opérations chez Matériaux Blanchet, en nous montrant la chaîne de production automatisée, après avoir enfilé un dossard et un casque de sécurité.
On dirait l’entrepôt d’une très grande surface, avec un plafond très élevé. Nous parcourons la chaîne de production en marchant sur une passerelle en grillage à plusieurs étages — il ne faut pas avoir le vertige!
On croise çà et là des travailleurs à différents points stratégiques de la chaîne de production. Les humains se comptent sur les doigts de deux mains dans l’usine de rabotage, même si l’ensemble du site de Matériaux Blanchet emploie 150 personnes.
La modernisation a complètement transformé le travail du personnel, insiste Patrick Leblanc.
Auparavant, c’était par exemple un employé qui faisait le tri pour déterminer si une bille de bois contenait une ou deux planches de qualité. Parfois, dans le doute, il estimait qu’une bille en contenait une seule, même si elle en comptait en fait deux, générant ainsi des pertes.
Les machines, elles, ne se trompent jamais : elles vont exactement puiser dans chaque bille la quantité réelle de planches disponibles — l’usine de Saint-Pamphile a besoin de 3,5 mètres cubes de bois pour produire 1000 pmp.
Les machines peuvent même détecter dans une bille la présence de deux planches, mais de qualité différente, qui sont vendues à des prix différents. Du coup, Matériaux Blanchet fait de meilleures marges bénéficiaires, en plus d’être plus compétitive sur le marché.
Cette efficacité et cette précision sont possibles grâce à l’investissement de 30 M$ que la PME a fait pour reconstruire complètement, en 2020, l’usine de Saint-Pamphile, en activité depuis 1958. Matériaux Blanchet a aussi investi 30 M$ pour moderniser son autre usine à Amos, en Abitibi-Témiscamingue.
Ces investissements ont grandement réduit la pression sur la main-d’œuvre chez Matériaux Blanchet. « On est passé de cinq à deux quarts de travail. Il n’y a pas eu de perte d’emplois; on embauche même, car les « jobs » sont plus intéressants et moins difficiles physiquement », raconte Patrick Leblanc.
Un équipementier québécois au cœur de cette révolution
Cette révolution technologique dans l’industrie forestière est méconnue. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’elle s’appuie sur des équipementiers québécois, dont Bid Group, à Saint-Georges — on retrouve d’ailleurs ses machines chez Clermont Hamel et Matériaux Blanchet.
Cette PME est devenue le leader en Amérique du Nord dans ce domaine, en offrant ses solutions technologiques pour transformer beaucoup plus efficacement le bois. Les gains de 5 à 3,82 mètres cubes de bois pour produire 1000 pmp observés depuis 30 ans dans l’industrie québécoise, c’est en grande partie grâce à elle.
Pas étonnant alors que les contrats s’empilent d’ailleurs les uns sur les autres, confie Simon Potvin, président de la Division de la transformation du bois de l’entreprise, à qui nous avions donné rendez-vous à l’usine de Saint-Georges afin de comprendre le rôle la PME dans cette révolution technologique.
«La demande est très forte. On a un carnet de commandes de 22 à 24 mois », dit-il, alors que nous marchons dans les couloirs de l’entreprise pour aller visiter l’usine adjacente au bâtiment principal.
C’est une chaîne production typique. On voit différents corps de métiers à l’œuvre, tout en marchant prudemment pour éviter les chariots élévateurs. Mais au lieu de fabriquer des voitures, on y fabrique de gros équipements pour les Georgia-Pacific de ce monde.
Bid Group, qui exploite huit autres usines du genre en Amérique du Nord, construit aussi des usines neuves hypermodernes pour des entreprises forestières, notamment aux États-Unis. « On amène notre expertise et on embauche sur place pour construire les bâtiments », explique Simon Potvin.
Chose certaine, Bid Group n’est pas un cordonnier mal chaussé. L’usine de Saint-Georges est elle-même 4.0 (les machines communiquent entre elles) afin de réduire l’effet de la pénurie de main-d’œuvre dans Chaudière-Appalaches.
En décembre, le taux de chômage y était de 2,9 %, soit beaucoup moins que la moyenne québécoise de 4,6 %.
Bid Group installe aussi, chez ses clients qui le souhaitent, des indicateurs de performance en temps réel sur leurs équipements, comme à Westervelt, en Alabama, afin de les aider à être encore plus efficaces.
Des indicateurs que Simon Potvin peut consulter à toute heure de la journée sur son écran d’ordinateur dans son bureau, à plus de 2000 kilomètres de Saint-Georges, comme il nous l’a montré. «Je peux extraire de l’information pour aider nos clients à mieux optimiser leur production», dit-il.
On est bien loin d’image folklorique de la petite scierie traditionnelle en région…
Les avantages qu’engendre l’efficacité croissante du secteur de l’industrie forestière du Québec ne rapportent pas qu’aux scieries. Les collectivités locales en bénéficient également grâce aux emplois plus stimulants et mieux rémunérés.
Enfin, plus globalement, cette efficacité opérationnelle fait aussi en quelque sorte de réduire la pression sur la forêt québécoise, alors que nous devons trouver collectivement un équilibre entre le développement économique et la protection de la nature.
Certes, cet équilibre demeure précaire, sans parler de certaines tensions entre des groupes environnementaux et l’industrie forestière, pour qui la sécurité et la prévisibilité des approvisionnements est le nerf de la guerre.
En revanche, comme nous avons pu le constater en visitant les installations de Clermond Hamel, de Matériaux Blanchet et de Bid Group, cette révolution tranquille technologique représente certainement un pas dans la bonne direction.
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Comment le reste du secteur manufacturier peut-il s’inspirer de cette révolution?