Presque 10 ans. C'est le temps qu'il aura fallu à Bilodeau Immobilier pour pouvoir construire ses condos dans le boisé Woodfield du quartier Sillery, à Québec, acheté à une communauté religieuse en 2004. Ce qui s'annonçait comme un projet facile est devenu un véritable chemin de croix pour le promoteur, qui a dû faire face à l'opposition citoyenne, jusque devant les tribunaux.
Au travail pour livrer les 63 unités d'habitation à l'été 2016, les trois frères Bilodeau, qui ont traversé la tempête sans jamais sauter dans l'arène médiatique, s'estiment chanceux, dans le contexte, de construire dans un secteur où la valeur des résidences est élevée.
«C'est ce qui nous permet d'absorber les excédents de coûts générés par les délais et la contestation», dit Jean-Pierre Bilodeau, président de Bilodeau Immobilier. Le projet de 36 millions de dollars coûtera 10 % plus cher à développer, calcule le promoteur, à cause des délais, des frais judiciaires, des modifications aux plans, des transplantations (75 plutôt que les 43 obligés) et de l'excavation spéciale pour protéger des arbres.
Et au lieu de 100 unités, il y en aura 63, dans un souci de conserver plus d'arbres et d'apaiser les tensions citoyennes. Mais le promoteur ne peut vendre plus cher que le prix du marché, donc c'est lui qui écope.
«On ne pensait pas prendre un tel risque lorsque nous avons acheté le terrain, dit Marc Bilodeau. D'habitude, on attend de vendre 50 % des unités avant d'amorcer une construction ; mais cette fois, nous n'avons pas pu et nous allons de l'avant avec un haut niveau de risque.»
Quand la Cour supérieure a débouté les opposants au projet Woodfield, le 28 octobre, le promoteur devait obligatoirement commencer ses travaux avant décembre afin de ne pas perdre son droit de construire. À ce jour, 33 % des condos ont trouvé preneur.
L'opposition citoyenne, composée de scientifiques, d'historiens et même de politiciens, s'est organisée à Sillery quand plusieurs des communautés religieuses présentes sur le haut de la falaise surplombant le fleuve Saint-Laurent ont mis des terrains en vente. Le ministère de la Culture et du Patrimoine n'avait aucun plan pour encadrer le développement de ces espaces. Une soixantaine de mémoires ont été déposés lors des consultations publiques.
Projet conforme au zonage
«On vient de Sillery et on était d'accord pour que le ministère se donne une mission de préservation, mais ça a été long ! Et on a dû attendre même si notre projet était conforme au zonage», déplore Marc Bilodeau.
Au fil des ans, les Bilodeau ont dû s'adresser à différents interlocuteurs au gouvernement pour faire avancer les choses. Puis, en décembre 2013, ils ont obtenu le feu vert de l'ancien ministre Maka Kotto. Mais alors, des voisins de Woodfield ont contesté cette approbation, alléguant en cour qu'il y avait eu abus du pouvoir discrétionnaire. Ils se sont appuyés également sur les avis défavorables du Conseil du patrimoine culturel du Québec, qui avait jugé le projet «trop haut, trop gros, trop envahissant». Mais le ministère avait retenu la position de la Commission de la capitale nationale, selon laquelle le boisé ne représentait aucun caractère distinctif ou exceptionnel. Dans les faits, la plupart des arbres avaient poussé dans les 40 dernières années. Et la Cour a reconnu le droit du promoteur de construire sur son terrain.
«Avoir su que ce serait comme ça, on ne se serait jamais embarqués là-dedans. Et si d'autres terrains sont à vendre à Sillery, pas sûr qu'on achèterait ! réagit Marc Bilodeau. L'opinion publique a beaucoup de poids à Québec et la Ville a du mal à gérer ça. Ça donne l'impression que la Ville n'a pas confiance dans les projets présentés.»
Les commerçants du secteur, eux, se sont prononcés en faveur de la densification urbaine dans Sillery. L'ancien président de la Société de développement commercial de l'avenue Maguire, François Joyet, trouve le projet Woodfield en équilibre avec son secteur.
«Et une vie de quartier passe par une mixité de population. La moyenne d'âge ici est un peu élevée. Les gens de Sillery veulent y rester. Je voudrai aussi le faire, mais j'aurai besoin d'options quand je vendrai ma maison. Or, ça faisait longtemps ici qu'il n'y avait pas eu un projet intéressant.»