L'industrie langagière est l'un des secteurs d'activité les plus en croissance à l'échelle mondiale. De 2010 à 2015, ses revenus ont bondi de 45 %, passant de 26,3 à 38,2 milliards de dollars américains, selon la firme de recherche indépendante Common Sense Advisory (CSA). Et la traduction compte pour 56 % de ces revenus.
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Le Canada fait assez bonne figure dans l'industrie langagière mondiale. Ainsi, la firme PwC a évalué, en 2012, que le secteur langagier canadien affichait un chiffre d'affaires de 4 G$ US, soit plus ou moins 10 % du marché mondial.
Pourtant, aucune entreprise canadienne ne fait partie du top 10 des plus importants fournisseurs de services langagiers du monde en 2015, selon le palmarès de CSA (ce classement est dominé par l'américaine Lionbridge, avec 490 millions de dollars américains de revenus). En fait, c'est au 49e rang qu'apparaît Traductions Serge Bélair, de Montréal, la seule entreprise canadienne qui, avec des revenus de 14,6 M$ US, se hisse au classement des 100 plus grands fournisseurs langagiers du globe.
Mauvais reflet de la réalité
Qu'est-ce qui explique la si faible présence d'entreprises canadiennes au palmarès de CSA ? «La plupart des cabinets canadiens de traduction, en majorité des cabinets privés, refusent de participer à ce classement annuel. Très peu d'entre eux veulent partager leurs informations financières», explique Ann Rutledge, présidente du cabinet de traduction montréalais Megalexis, qui emploie une soixantaine de personnes.
Il y a quatre ans, alors qu'elle était présidente de l'Association de l'industrie de la langue (AILIA) au Canada, elle avait tenté de réaliser une étude exclusive du marché canadien avec l'aide de CSA. «Là encore, seulement une poignée de cabinets avait accepté de partager ses informations», indique la traductrice.
Une autre raison explique l'absence des entreprises canadiennes : la cotisation demandée. «Le Common Sense Advisory exige des frais de consultation variant de 10 000 $ à 40 000 $ par année aux entreprises qui veulent participer et recevoir les résultats. Pour cette raison, ce classement ne reflète pas, à nos yeux, la réalité du marché. Ce sont surtout des multinationales qui y participent», affirme Claudette Monty, vice- présidente exécutive et associée de Versacom.
Sans vouloir dévoiler le montant exact des revenus de l'entreprise, Mme Monty indique que sa firme, le plus grand cabinet de traduction de propriété canadienne, affiche annuellement des revenus de 25 à 50 M$ US, ce qui positionnerait le cabinet montréalais entre la 19e et la 35e position du classement mondial.
Le propriétaire de l'unique société canadienne inscrite dans le top 100, Serge Bélair, dit ne plus payer sa cotisation au CSA depuis trois ans. «On nous a envoyé un formulaire l'an dernier et nous avons répondu aux questions», dit M. Bélair. Est-ce que ce positionnement est profitable ? «C'est bon pour la visibilité. On ajoute cette information aux appels d'offres. Et c'est bien que des entreprises d'ici figurent dans ce type de classement», dit-il.
18 000 entreprises langagières
La firme CSA est pleinement consciente que plusieurs entreprises refusent de partager leurs informations. Au total, 860 sociétés ont participé au classement sur quelque 18 000 entreprises langagières répertoriées dans le monde. Des entreprises en très grande majorité privées. À peine 3 % d'entre elles comprennent plus de 100 employés. Près de 60 % en comptent même moins de cinq.
Des 10 entreprises qui se trouvent au sommet du classement du CSA, cinq ont un pied-à-terre au Canada. Que ce soit à la suite d'une acquisition ou d'une pure et simple implantation, les américaines Lionbridge et Transperfect ainsi que les européennes SDL et Euroscript sont maintenant présentes à Montréal. L'américaine LanguageLine Solutions est pour sa part installée à Toronto.
Est-ce que l'absence des entreprises canadiennes au sein du classement nuit à leur rayonnement international ? «C'est certain que de grands acheteurs de services, principalement américains et européens, s'inspirent de ce classement pour sélectionner leurs fournisseurs», concède Ann Rutledge.
«Est-ce que ces acheteurs nous intéressent vraiment ?» s'interroge toutefois Claudette Monty. Les entreprises canadiennes de traduction, dit-elle, disposent de normes rigoureuses et d'un professionnalisme de qualité qui répondent à la réalité du marché canadien. Des avantages et des services que des sociétés américaines et européennes ne veulent pas nécessairement payer.
Diversifier les langues et les clients
De l'avis de Donald Barabé, ancien vice-président des services professionnels du Bureau de la traduction, le plus important donneur d'ouvrage de traduction au Canada, cette absence au classement n'améliore pas la situation de l'industrie canadienne à l'échelle mondiale. Le Canada, dit-il, pourrait avoir une, voire deux entreprises dans le top 10.
Des sociétés comme Lionbridge et Transperfect, ainsi qu'Euroscript et SDL, dit-il, ont compris que le succès international passe par la traduction multilingue.
«Au Canada, plusieurs entreprises sont encore très dépendantes d'une seule combinaison de langues, en l'occurrence le français et l'anglais», dit M. Barabé. Selon la dernière étude de PwC, environ 90 % de la traduction effectuée au Canada concerne le passage du français à l'anglais et vice versa.
Plusieurs entreprises canadiennes langagières, poursuit-il, sont également dépendantes d'un seul client : le gouvernement du Canada.
Cela tombe mal. Car pendant son règne, le gouvernement Harper a réduit considérablement certaines dépenses gouvernementales, dont celles en traduction. Au cours des cinq dernières années, le Bureau de la traduction a subi des compressions d'au moins 50 M$. Le volume de la demande de traduction a diminué de 26 % de 2010 à 2015, rapporte Pierre-Alain Bujold, porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada. Le personnel du Bureau de la traduction a pour sa part fondu de 1 928 à 1 324 employés en cinq ans.
Il n'empêche, soutient M. Barabé, le marché de la traduction mondiale est en pleine évolution. «Le train a quitté la gare. Reste à voir si nous serons en mesure, et si nous aurons la volonté, d'y avoir notre place.»
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