À la merci des conditions météorologiques, de l'humeur des skieurs face au froid hivernal et surtout des soubresauts de l'économie, l'industrie du ski ne semble pas, à priori, un secteur très porteur pour la relève. Pourtant, les releveurs sont bel et bien au rendez-vous... à certaines conditions.
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«À moins de trouver un acheteur fortuné, les propriétaires de stations qui veulent assurer aujourd'hui leur relève n'ont d'autre choix que de le faire à deux conditions», soutient catégoriquement Michel Couture, 41 ans, propriétaire de Ski Saint-Bruno depuis 2011. D'abord, ils doivent accorder un crédit vendeur (balance de vente) à leurs enfants ou leurs employés prêts à reprendre le flambeau. En second lieu, ils doivent laisser à ces derniers pleine latitude dans la gestion des activités, explique-t-il.
Son père, Serge, lui a confié à 100 % les rênes de l'une des 10 stations les plus achalandées du Québec, avec 300 000 visiteurs pour la saison. Le releveur bénéficie d'un montage financier familial, sans échéancier, dont les remboursements s'effectuent seulement lors des années profitables.
«Sans une balance de vente du chef sortant, il est quasi impossible pour le releveur d'assumer seul l'endettement trop élevé de la station auprès des institutions financières. Sans cela, le remboursement de la dette viendrait anéantir le réinvestissement des profits en station», poursuit Michel Couture, qui siège également au conseil d'administration de l'Association des stations de ski du Québec (ASSQ). Selon la dernière étude financière sur l'industrie du ski du Québec réalisée pour l'ASSQ, dont les résultats seront publiés en décembre, les 74 stations au Québec réalisent en moyenne de maigres profits d'à peine 5 % par année. Un contexte qui pourrait expliquer pourquoi certaines stations tardent à mettre en place un plan de relève officiel. C'est le cas en Estrie, pour la station Mont Sutton, qui appartient à la famille fondatrice Boulanger depuis 1960, et la station Owl's Head, fondée par Fred Korman en 1965.
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Glissades et sentiers de raquette
En attendant, John et Joanna Barnowski, copropriétaires de la station Ski Montcalm, dans Lanaudière, peuvent témoigner des deux conditions essentielles à la réussite de la relève soulevées par Michel Couture. Depuis 2009, le frère et la soeur effectuent l'achat d'actions auprès de leur père Tadek, fondateur de la station en 1969. Le processus, sans l'aide d'institutions financières, s'échelonne jusqu'en 2020.
Grâce à ce montage financier familial, les Barnowski viennent d'investir 2 millions de dollars pour agrandir le chalet et diversifier l'offre de leur station en ajoutant des glissades ainsi que des sentiers de raquette. «Pour notre père, la priorité a toujours été d'offrir des pistes aux conditions de neige exceptionnelles et un accès rapide aux remontées. John et moi allons poursuivre dans cette voie. Mais on se devait aussi d'améliorer l'ensemble des services à la clientèle et d'augmenter notre offre de services pour rendre la montagne encore plus accessible aux gens qui ne pratiquent pas le ski», explique Joanna, 41 ans. Depuis que les deux assurent la relève, la station Ski Montcalm enregistre des hausses de 8 à 10 % du nombre de visites par saison, alors que le nombre de skieurs a à peine bougé de 0,6 % au Québec.
Cependant, la balance de vente et la gestion complète des opérations ne suffisent pas aux releveurs. La localisation de la station fait aussi partie des facteurs motivants. Les héritiers de Tadek Barnowski sont conscients que leur montagne se trouve à moins de 30 minutes de Terrebonne et de Mascouche, deux municipalités qui enregistreront les plus fortes hausses de population au Québec d'ici 2031. «Cette population est composée de jeunes familles, la clientèle cible de Ski Montcalm depuis sa création», souligne, confiante, Joanna Barnowski.
Directeur et mécanicien
Même scénario à Ski Mont Rigaud, dans le sud-ouest du Québec. Si la station ne s'était pas trouvée à moins de 30 minutes du bassin de population de l'ouest de l'île de Montréal, alors en plein boom, Luc Élie ne l'aurait sans doute pas rachetée, en compagnie de sa conjointe Karine Labbé, en 2009. «La station n'a aucune autre compétition dans la région. On est les seuls dans notre secteur», souligne le propriétaire et directeur général.
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Employé depuis 1993, Luc Élie avait toujours rêvé de posséder sa propre station de ski. «Il y a cinq ans, alors que j'étais devenu directeur général, j'ai eu le sentiment qu'il se tramait quelque chose. Je voyais débarquer à la station des gens en veston-cravate qui passaient tout droit devant mon bureau. Je suis allé voir les proprios, qui m'ont annoncé leur intention de vendre. Je leur ai alors fait une proposition», raconte Luc Élie, devenu propriétaire de la station à l'âge de 34 ans.
«Je me suis acheté un job !» ajoute-t-il en riant. En fait, il s'en est acheté plusieurs ! Certains jours, il conduit la dameuse pour l'entretien des pistes. D'autres, il doit se glisser dans la peau d'un informaticien, d'un directeur des ressources humaines et même d'un mécanicien (il détient une formation dans ce domaine) pour entretenir les remontées mécaniques.
«Sans cette polyvalence et cette expérience dans le métier, jamais je n'aurais obtenu la confiance de la Banque de développement du Canada et un aussi bon financement de sa part», dit l'entrepreneur, qui a bénéficié d'un crédit vendeur des anciens proprios. Il sera totalement remboursé d'ici la fin de l'année 2014.
Depuis qu'il possède la station, l'école de ski est passée de 1 200 à 1 700 skieurs, et la billetterie enregistre une hausse de près de 15 %. «La touche de ma conjointe Karine, qui a embelli le chalet, y est sans doute pour quelque chose», signale Luc Élie, fervent convaincu des vertus de l'hiver.
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La relève s'organise également dans une dizaine d'autres stations. Au Centre de ski Mt-Garceau, dans Lanaudière, Martin Gauthier a pris les commandes depuis déjà près de deux ans après le décès de son père, Marcel, qui avait lui-même pris la succession de son beau-père, Lauda Garceau, le fondateur de la station, en 1976. À Ski Bromont, Benjamin Desourdy suit de plus en plus les traces de son père, Charles. Au Mont Saint-Sauveur International, cinq enfants des deux fondateurs, Jacques G. Hébert et Louis Dufour, occupent actuellement des postes de direction. Louis-Philippe Hébert est d'ailleurs le président et chef de l'exploitation depuis le décès de son père en 2006.
2,4 M$: Total des investissements effectués dans les stations de la province en 2013-2014.
231 M$: Total des revenus engrangés par les 74 stations de ski de la province pour la saison hivernale 2013-2014.
De 2 à 6 %: Augmentation moyenne des inscriptions dans les écoles de ski du Québec en 2013. « Il s’agit d’une première année de croissance significative depuis plus de cinq ans », soulève Yves Juneau, directeur général de l’ASSQ.
De 1 à 3 %: Augmentation moyenne de l’achalandage des skieurs dans trois stations sur quatre au Québec. Ces hausses ont été réalisées pour la plupart dans les petites stations, particulièrement dans l’est de la province où les conditions de neige ont davantage été au rendez-vous, souligne Michel Archambault, directeur de l’Étude économique et financière des stations de ski du Québec 2014.
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