EXCLUSIF - L’Inde s’apprête à demander au Canada l’extradition d’un ancien haut dirigeant de SNC-Lavalin, Klaus Triendl, accusé d’avoir participé à un complot pour corruption.
Joint en Inde par Les Affaires, le procureur spécial chargé de la poursuite, Anil Kumar, indique que la demande vient d’être envoyée au ministère des Affaires étrangères de son pays. « Il l’enverra ensuite au Canada par l’intermédiaire d’Interpol. »
Selon le Central Bureau of Investigation (CBI), un organisme indien chargé de lutter contre la corruption, l’ancien ministre communiste de l’Énergie de l’État du Kérala, Pinarayi Vijayan, a fomenté avec ses fonctionnaires « une conspiration criminelle avec un vice-président directeur de SNC-Lavalin » pour forcer l’attribution d’un contrat à la firme.
D’une valeur de 2,4 milliards de roupies (52 millions de dollars actuels), le contrat a été accordé sans appel d’offres en 1998. Il consistait en la rénovation de trois petites centrales hydroélectriques du Kérala, dans le sud-ouest de l’Inde.
Le procureur Kumar veut faire extrader Klaus Triendl « parce qu’il a pris part au complot » pour corruption, a-t-il déclaré.
En 2005, le Comptroller and Accountant General (l’équivalent de notre Vérificateur général) a enquêté sur l’affaire et a conclu que le Kerala State Electricity Board, le producteur public d’électricité, a ignoré une soumission deux fois moins chère pour les travaux, déposée par un consortium indien.
Joint chez lui à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal, Klaus Triendl dit n’avoir rien à se reprocher. Il soutient qu’il n’a pas encore été accusé dans cette affaire. La cour indienne l’a pourtant bel et bien désigné comme l’un des accusés et le procureur Kumar demande son extradition.
« Toute cette affaire est politique », dit l’ingénieur. Selon lui, la poursuite, qui vise notamment un ancien ministre d’un ancien gouvernement, est en fait un règlement de compte monté par le nouveau parti au pouvoir au Kérala.
Citation à comparaitre refusée
Klaus Triendl soutient que SNC-Lavalin a offert sa collaboration à la police indienne pour faire avancer l’enquête. « Mais ils préfèrent faire les choses par eux-mêmes », dit-il.
En novembre dernier, des agents du CBI sont pourtant rentrés bredouille d’une visite à la filiale de New Delhi. Ils voulaient y délivrer une citation à comparaître à SNC-Lavalin et exécuter un mandat d’arrêt à l’endroit de Klaus Triendl. Sans succès.
« Ils ont fait la citation à comparaître au mauvais nom, donc on ne l’avait pas acceptée et nous ne sommes pas au courant de son contenu », écrit Leslie Quinton, vice-présidente, communications mondiales de la multinationale, dans un courriel.
Quant à Klaus Triendl, il se trouvait vraisemblablement au Québec, comme aujourd’hui.
« Lavalin graft case »
Les autorités indiennes essaient depuis des mois d’interroger l’ancien haut dirigeant. Il est au cœur de ce que les médias du pays appellent le « Lavalin graft case », littéralement, « l’affaire du pot-de-vin de Lavalin ».
Aujourd’hui en « semi-retraite », Klaus Triendl a occupé de 1999 à 2007 un siège au « bureau du président », qui regroupe les neuf vice-présidents directeurs autour du pdg. À la signature du contrat avec le Kérala, en 1998, il était vice-président principal et directeur général de la division Développement énergétique.
Selon le CBI, le contrat qu’il a négocié pour la firme québécoise n’a pas été approuvé par le conseil d’administration du Kerala State Electricity Board. Il a mené à des « pertes excessives » pour la société d’État et à des « profits excessifs pour SNC-Lavalin », ajoute l’autorité anti-corruption.
Pour obtenir le contrat, SNC-Lavalin a conclu une « entente verbale » avec le Kérala en 1996. La société s’engageait à trouver 20 millions de dollars pour financer la construction d’un hôpital pour cancéreux. L’argent devait provenir de l’Agence canadienne de développement international et d’Exportation et développement Canada (EDC). Mais SNC-Lavalin n’a trouvé qu’environ deux millions de dollars pour l’hôpital.
En outre, les travaux n’ont pas augmenté les performances des centrales, selon le Comptroller and Accountant General.
Sur son site Internet, SNC-Lavalin déclare qu’elle n’a « absolument rien à cacher » dans cette affaire. L’entreprise affirme avoir rénové les trois centrales avec succès, « en respectant budgets et échéanciers ». La firme ajoute qu’elle a même aidé son client « à construire un hôpital pour cancéreux ».