Tournant le dos sur ses disputes passées, l’industrie de la mode montréalaise se serre les coudes, plus que jamais convaincue de la nécessité de travailler main dans la main pour freiner son érosion.
Maintenant réunies au sein de Mmode, la nouvelle grappe métropolitaine de la mode, les différentes composantes de l’industrie (créateurs, manufacturiers, grossistes et détaillants), entendent rehausser son image, pallier au manque criant de main-d’œuvre spécialisée, accroître sa productivité, et développer pour l’ensemble de ses membres de nouveaux marchés internationaux.
«Je vais vous dire quelque chose. Je pense que l’industrie a besoin de se prendre en main (…) et oublier ses divisions passées. Parce que nous le méritons et qu’on est plus que de la guenille», a déclaré François Roberge, président de Boutique la Vie en Rose, à l’occasion de la présentation du plan stratégique de la nouvelle grappe, le 28 mai dernier, devant une centaines personnes réunies au siège social de la multinationale québécoise de la chaussure, Aldo.
Alors que l'industrie du vêtement et du textile employait plus de 70 000 personnes à Montréal pendant les années 1970, elle a fondu de manière dramatique au cours des quarante dernières années. Aujourd’hui, la mode montréalaise ne compte plus que 30 000 emplois, ne représente plus que 45% des emplois au pays. En 2013, selon PwC, intimement lié à la création de cette grappe, Montréal ne se classerait plus qu’au 48e rang des villes de la mode, loin derrière New York (1er), Los Angeles (4e) et Toronto (32e).
La concurrence est ailleurs
«Le principal problème à mon avis est qu’on s’est sentis invincibles», estime l’entrepreneur François Roberge, qui a travaillé d’arrache pied au cours des dernières années afin de regrouper les différentes composantes de l’industrie au sein d’un même organisme.
Malgré son importance dans l’économie montréalaise, la démarche de création d’une grappe montréalaise aura pris du temps. Huit autres grappes, telles Aéro Montréal (aérospatiale), Montréal Invivo (sciences de la vie et des technologies de la santé) et TechnoMontréal (technologies de l'information), sont nés dans l’intervalle.
D’une part, des rendez-vous manqués comme celui de Montréal Mode, au début des années 2000 avec le concours de la Caisse de dépôt et placement du Québec, avaient laissés de profondes blessures. Panser ces plaies aura été long. Mais il aura aussi fallu que l’industrie vive le déplacement massif de la production vers l’Amérique latine et l’Asie, puis tous les dommages liés à l’internationalisation de la concurrence grâce au commerce électronique, pour qu’elle en vienne à retrouver l’énergie d’explorer de nouvelles avenues.
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«C’est cette pression énorme du marché qui nous a mené à nous parler, estime le designer de mode, Philippe Dubuc, qui a contribué avec d’autres à la naissance de Mmode. Il le fallait, dit-il. Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, nous n’avons plus le choix.»
La directrice générale des boutiques Tristan abonde dans le même sens. Comme d’autres détaillants québécois, Lili Fortin a dû faire face au débarquement massif ces dernières années de concurrents américains et européens (Zara, H&M, Mexx, etc.) au Canada. Une concurrence féroce qui aura presque coûté la vie à de nombreux acteurs locaux, dont, encore récemment, Jacob et Parasuco, en redressement.
«La concurrence n’est plus locale, précise-t-elle. Aujourd’hui, nos ex-concurrents doivent devenir nos amis, nos alliés. Nous nous devons de travailler ensemble. C’est une façon intelligente de nous en sortir. Intelligente et efficace.»
Des usines à moderniser, une image à défendre
Entre autres priorités, la grappe entend rapidement se pencher sur l’impérieuse nécessité d’une meilleure intégration des nouvelles technologies dans ses manufactures. «Nous devons devenir plus productifs», a martelé Anna Martini, présidente du Groupe Dynamite. Des investissements en innovation seront des incontournables.
Un objectif qui tombe à point, aux yeux de la présidente d’Harricana, Mariouche Gagné, qui observe un certain retour de la production de l’Asie vers l’Amérique du Nord. «On ne pouvait pas concurrencer le coûts de main-d’œuvre de là-bas. Mais avec des équipements plus performants, une plus grande recherche de qualité et une plus grande conscientisation de la clientèle face à l’importance de la production locale, l’espoir est là.»
L’image de marque de l’industrie est également perçue comme une priorité à travailler. Plusieurs, dont Mme Fortin, craignent que Montréal ait au cours des années, perdu «son je-ne-sais-quoi». «Je ne pourrais vous l’affirmer hors de tout doute. Mais on observe qu’ailleurs au Canada, on n’associe plus le style et la mode autant à Montréal qu’auparavant.»
Cette image à consolider, ou à rebâtir du tout au tout, préoccupe les détaillants autant que les créateurs. «Il faut la rehausser (l’image), résume, convaincu, Philippe Dubuc. Tant localement, qu’à l’international. C’est une image d’ensemble qu’il faut revoir et qui ne se limite pas au simple ajout d’un étiquette sur nos vêtements.»
Pour l’heure, la nouvelle grappe est toujours à la recherche d’un directeur général et d’un financement capable de pérenniser l’existence de l’organisme. Actuellement, 36% du financement de l’organisme est assuré par les entreprises membres de l’industrie. PwC estime que le privé devra contribuer pour 49% de son budget en 2018. D’ici là, l’organisme naissant profitera de subventions liées à son démarrage de quelque 380 000$ par année pendant trois ans.