Alexandra Wilkis Wilson est l'idole à la fois des fashionistas et des entrepreneurs américains. La blonde trentenaire, new-yorkaise jusqu'au bout de ses ongles manucurés, a cofondé Gilt Groupe en 2007. Avec 1 000 employés et des revenus frisant le milliard de dollars, Gilt est le plus important site de vente-éclair de marques de luxe aux États-Unis.
Diane Bérard - Certains patrons ne délèguent pas assez. Vous déléguez trop. Expliquez-nous.
Alexandra Wilkis Wilson - J'essaie d'être le patron que je voudrais avoir. J'aime les défis et les responsabilités, alors je veille à ce que mes employés en aient. Mais je suis une véritable New-Yorkaise, je fais tout en accéléré. Je marche vite, je parle vite, je pense vite... et j'essaie de comprimer 50 heures de travail dans chacune de mes journées ! Le problème tient au fait que j'attends le même rythme de mes employés.
D.B. - Comment réagissent-ils ?
A.W.W. - Ils se plaignent, me disent parfois qu'ils en ont trop sur les bras.
D.B. - Et que leur répondez-vous ?
A.W.W. - J'arrête tout. Je me retrousse les manches et je descends dans les tranchées avec eux. Pour leur donner un coup de main et voir si je dois ajuster mes demandes.
D.B. - L'an dernier, vous avez publié l'histoire de Gilt dans le livre By Invitation Only. Qu'y racontez-vous ?
A.W.W. - La façon dont nous avons bâti une entreprise sans réaliser aucune étude de marché. En nous fiant à notre instinct, car nous sommes les clients cibles de Gilt. Nous avons bâti une marque à notre image.
D.B. - Gilt reproduit sur le Web un service qui existe depuis longtemps dans le monde réel. Décrivez-le-nous.
A.W.W. - Gilt propose des ventes-éclair de produits de luxe en ligne : vêtements, accessoires, vins prestigieux... Chaque vente dure 36 heures, pas plus. Je me suis inspirée des braderies que l'on annonce dans le journal. Un détaillant ou un acheteur loue un local pendant quelques heures pour écouler des stocks rapidement. Lorsque je travaillais chez Merrill Lynch, Louis Vuitton puis Bulgari, je quittais le bureau en catimini plusieurs fois par mois pour profiter de ces ventes-éclair ! Un jour, nous nous sommes rendu compte que le Web pouvait nous aider à reproduire cette frénésie à plus grande échelle. Plutôt que d'attirer quelques centaines de femmes dans un entrepôt, pourquoi ne pas en attirer des milliers sur un site ? Ainsi est née notre idée d'entreprise.
D.B. - Vous avez travaillé pour des marques iconiques, mais vous rejetez ce que vous y avez appris lorsqu'il s'agit de bâtir votre marque. Pourquoi ?
A.W.W. - Je ne rejette pas tout, quand même ! J'estime que le pdg de Bulgari avait tort lorsqu'il m'a dit : «Une vraie marque de luxe doit être au moins centenaire». Je comprends que plusieurs marques européennes reposent sur un riche héritage. Mais les temps changent. La technologie accélère la reconnaissance d'une marque.
D.B. - Votre site offre des produits connus à une fraction du prix. Cela doit déplaire aux propriétaires de ces marques...
A.W.W. - Pas du tout, ils ont rapidement compris que nous pouvions être leurs alliés. Nous ne dévalorisons pas les marques de luxe, nous entretenons plutôt leur aura d'exclusivité. D'abord, pour accéder à nos offres, il faut être membre. Ensuite, chaque vente ne dure que 36 heures. Nous créons un sentiment d'excitation et de rareté autour des produits de luxe tout en permettant à des clientèles plus jeunes de les consommer. Des clients qui ne les auraient peut-être pas achetés à plein prix, mais qui y prendront goût.
D.B. - Vous êtes bonne vendeuse... Est-ce votre principal atout ?
A.W.W. - Ce matin, j'ai fait trois présentations pour convaincre des pdg de marques prestigieuses de s'associer à Gilt. Quand je ne fais pas de présentations, je sollicite des rendez-vous avec des pdg, des vice-présidents marketing, des designers... Mon actif le plus précieux, c'est mon carnet d'adresses.
D.B. - Êtes-vous inquiète du fait que les sites de vente au rabais ne manquent pas ?
A.W.W. - Nous avons lancé Gilt en 2007. Cette avance nous confère un rôle de leader. Nos membres sont loyaux. Mais la concurrence est féroce et nous avons perdu des batailles.
D.B. - Comment réagissez-vous à la concurrence ?
A.W.W. - Nous accentuons notre spécificité. Gilt est le plus important site de ventes-éclair de produits de luxe «style de vie» aux États-Unis. Pour chaque catégories de ces produits, notre offre doit être inattaquable. Nous offrons des safaris en Afrique, des fromages fins, une virée à Paris avec la styliste de Lady Gaga...
D.B. - En tant que cliente cible de l'entreprise que vous avez démarrée, vous pensiez tout savoir de votre marché. Vous vous trompiez...
A.W.W. - [rires] En effet, six mois après le lancement, j'ai découvert que le quart de mes clientes étaient... des clients ! Notre section pour hommes était limitée. Je croyais qu'elle ne serait fréquentée que par les femmes qui magasinent pour leur conjoint. Nous avons revu notre offre rapidement. C'est ce que j'appelle un beau problème. Mais j'en ai tiré une leçon : un entrepreneur doit être prêt à revoir ses certitudes. Ne vous sentez pas lié à votre idée de départ.
D.B. - Vous êtes mentore pour l'accélérateur TechStars et accompagnez plusieurs technos. De quoi parlez-vous aux entrepreneurs ?
A.W.W. - De l'importance de l'exécution. Des idées, tout le monde peut en avoir. Mais il faut les implanter rapidement. Avec notre type de produit, les ventes-éclair, une application mobile puissante s'imposait. Nous avons donc investi dans ce dossier dès le début. Aujourd'hui, le tiers de nos revenus provient de ventes effectuées à partir de plateformes mobiles. Nous vendons un produit qui appelle la spontanéité.
D.B. - Vous avez démarré Gilt avec votre meilleure amie. Qu'est-ce qui est le plus important : votre relation d'amitié ou votre entreprise ?
A.W.W. - Voilà une question que nous nous sommes posée avant de nous lancer en affaires. Notre réponse : notre relation. Et nous sommes convaincues que la force de notre relation nous confère une avance sur la concurrence. Parce que nous nous comprenons et que nous nous complétons, nous implantons nos idées plus rapidement.