Enfin, j’ai pu conduire la Leaf, cette voiture 100% électrique de Nissan. Première impression : on dirait une auto tout droit sortie du futur… Le gabarit est celui d’une compacte (pensez à une Sentra), suffisamment spacieux pour accueillir cinq adultes. De l’extérieur, ce sont les phares et les feux qui retiennent l’attention. À l’avant, ils sont exorbités, comme sur la Juke. À l’arrière, les blocs optiques montent à l’assaut du pavillon en encadrant la lunette. Un examen plus attentif révèle un petit panneau solaire fixé au sommet du hayon, question d’alimenter la climatisation sans puiser dans les ressources vitales de l’auto.
Les portières arrière ont été taillées de manière à faciliter l’accès à la banquette. Le coffre offre une capacité de chargement honnête, sans qu’on ait besoin de rabattre les dossiers. C’est là que se trouve le câble de recharge, dont l’un des bouts ressemble à un pistolet.
Il ne me reste plus qu’à brancher l’autre extrémité du câble dans une prise de courant de 110V ou 220V qui se trouve derrière une trappe, au bout du capot. Si c’est du 110V, la recharge complète de la Leaf prend jusqu’à 20 heures. Si c’est du 220V, on réduit l’attente à huit. Le temps de faire un dodo réparateur.
Il y a une deuxième fiche. Elle est destinée à la recharge rapide, soit 80% en 30 minutes avec du 400V. Nos maisons ne disposent pas de ce genre de courant. L’idée est d’établir un réseau de bornes qui permettra aux proprios de VE de faire le plein de watts en quelques minutes. Des commerces comme Métro et les restaurants St-Hubert ont fait part à Hydro-Québec de leur intérêt à offrir des bornes de recharge rapide.
Ce n’est pas sorcier : le succès des VE repose sur le réseau de bornes. Sans elles, l’angoisse de la panne (le « range anxiety » disent les anglos) minera le plaisir au volant. Dans Silicon Valley, place branchée entre toutes, on m’a parlé de Leaf et de Tesla (le biplace électrique de 100 000$) grimpées sur le dos d’une remorque parce que les proprios avaient mal jaugé l’autonomie de leur machine !
Nissan prétend que sa Leaf dispose d’une autonomie de 160 km. Cette distance ne sera effectivement parcourue que si plusieurs paramètres cruciaux sont à votre avantage: la météo, votre type de conduite, le trafic, etc.Un intérieur hi-tech
Heureusement, l’autonomie résiduelle de l’auto est l’information qui apparaît le plus en évidence sur le tableau de bord, lequel est plus proche du iPad que des cadrans de la Buick de grand-papa.
Le tableau de bord nous renseigne sur l’énergie utilisée pour propulser l’auto, pour alimenter la climatisation et pour faire fonctionner tous les autres accessoires. Si vous résistez à la tentation de rafraîchir la cabine, vous venez de prolonger votre autonomie.
À gauche du compteur numérique, on voit pousser des… sapins ! Plus vous conduisez de manière écologique, plus vite pousse le conifère. Dès que vous en avez complétez un, un deuxième se met à germer. Mignon. Un bouton permet de savoir en temps réel le nombre de sapins que font pousser les Leaf qui sillonnent la planète, de même que les émissions de CO2 que la flotte épargne ainsi à nos poumons.
Le sélecteur de vitesses est intéressant. Il s’agit d’un court joystick planté sur la console. Si je le pousse des doigts vers la gauche puis vers le tableau de bord, me voilà en position pour faire marche arrière. Si je tasse plutôt la mollette vers la banquette, je suis en mode Drive. Une seconde poussée amorce le programme Eco.
Elle se défend sur la route
Les commandes apprivoisées, je suis prêt à rouler. La clef dans ma poche, j’enfonce le bouton-poussoir du démarrage. Rien. Enfin, si. Les cadrans se sont allumés, les aiguilles ont dansé, quelque chose s’est mis en marche mais dans le plus complet silence. Aussi bien s’y habituer, c’est le trait de personnalité principal de tous les VE.
Une caractéristique qui demandera un gros effort d’adaptation à plusieurs d’entre nous. Pensez-y : l’industrie dépense une fortune pour produire des sons censés enivrés l’acheteur. On n’est pas un fanatique de chars si on ne prend pas plaisir à rincer son moteur.
Nissan a songé aux piétons qui n’ont pas envie de se faire renverser par une auto qu’ils n’entendraient pas venir. La Leaf émet donc un son artificiel. On dirait le mugissement feutré d’une turbine. Quitte à trahir mon âge, j’ai immédiatement pensé à la limousine de Lady Penelope dans Les Sentinelles de l’air !
J’embarque sur l’autoroute. Tout de suite, je veux savoir si j’ai affaire à une vraie voiture. Mais d’abord, je dois me livrer à un petit calcul mental. L’indicateur d’autonomie me montre 135 km. Robert Lupien, le gentil monsieur de l’agence Cohn & Wolfe qui m’a amené la Leaf au siège social de Nissan, à Kirkland, doit retourner à son bureau du centre-ville après ma petite balade. Nous estimons ensemble que je devrais lui laisser une autonomie d’au moins 50 km, juste au cas.
La Leaf se déplace bien. Sans me presser mais sans me gêner, j’accélère aisément jusqu’à 100 km/h. Fluide. Je m’essaie à dépasser un gros camion. J’enfonce l’accélérateur. La Leaf est loin de bondir mais ses 107 chevaux et son couple de 206 lb-pi me permettent de m’élancer avec assurance. Je dépasse et je réintègre la voie du centre sans coup férir.
Outre le faible mugissement artificiel, les seuls autres bruits sont ceux du vent, des autres autos et le chuintement des Bridgestone Ecopia, des pneus spécialement conçus pour minimiser la friction contre la chaussée.
Coup d’œil à l’autonomie : 91 km. Oups ! Il va falloir me calmer, des fois que Robert n’ait pas assez d’argent sur lui pour retourner au centre-ville en taxi… Rouler longtemps à 120 km/h n’est pas la meilleure idée quand on est au volant d’une Leaf. Elle s’exécute, sa vitesse de pointe s’établit même à 140 km/h mais à ce tempo, on épuise rapidement sa réserve d’énergie.
Il me reste à tester le mode Eco. Nouvelle manœuvre avec le joystick. La différence est notable : la pédale d’accélérateur offre maintenant une résistance prononcée. L’auto m’envoie un message très clair : « Tu veux sauver la planète ? Penses-y deux fois avant d’accélérer inutilement. »
Ma conscience écologique reçoit le message 5 sur 5 !
Maintenant, allons nous promener dans les méandres feuillus de Beaconsfield.
Pendant 20 minutes, je circule dans de charmantes rues ombragées. Parce qu’il y là autant de panneaux d’arrêt que de poux sur un chimpanzé, je freine constamment. Or, cette pédale de gauche ne fonctionne pas comme les autres. Sa courte course garde le pied haut et on a la vague impression d’enfoncer un oreiller, quelque chose qui survient toujours avec les voitures équipées d’un système de récupération d’énergie.
À chaque freinage, en effet, l’énergie dégagée recharge la batterie du moteur électrique, un phénomène qui se produit moins souvent sur l’autoroute. La preuve : au bout de 10 minutes de conduite banlieusarde, l’autonomie résiduelle a grimpé de 91 à 95 km. Robert peut commencer à respirer, il semblerait qu’il pourra s’en retourner au bureau en Leaf !La direction est leste, la voiture très maniable. Mais c’est encore le peu de bruit qui étonne. Dans les rues où jouent des enfants, je flotte.
Je me sens bien. Bon, d’accord, je me sentirai encore mieux le jour où la question de l’autonomie cessera d’être une hantise. Quand les bornes de recharge pousseront comme des pissenlits. Mais pour ce qui est de la sensation derrière le volant, elle est très bonne, à condition bien sûr de ne pas avoir envie d’une conduite sportive.
On choisira la Leaf pour plusieurs raisons, comme ne plus dépendre des pétrolières, réduire sa production de CO2, impressionner son voisin, triper sur les technologies dernier cri. Mais celle de changer son attitude au volant devrait être l’une de nos premières motivations.
Avec la Leaf, on apprend à relaxer. Le 0 à 100 km/h en 11 secondes, ce n’est pas suffisant pour prendre la direction de Sanair. En revanche, son déplacement éthéré s’avère un baume pour celui et celle qui trouve parfois dommage d’être embourbé dans un rythme de vie trop effréné. Une voiture pour les gens zen, la Leaf ? On dirait.
Bien entendu, rien n’est gagné d’avance. Après avoir remis les clefs à un Robert visiblement soulagé, j’ai pris place dans ma Hyundai Equus d’essai de 70 000 dollars et j’ai immédiatement sollicité les 385 CV du V8 pour prendre d’assaut l’autoroute comme si le diable en personne me poursuivait.
Chassez le naturel, il revient au galop !
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