Le symbole est fort, et les conséquences, encore incalculables. Le 22 octobre, la société d'État chinoise CNR MA a remporté le contrat pour la construction de 284 voitures pour le métro de Boston, doublant des géants de l'industrie comme Bombardier Transport. Il faut dire que son prix était imbattable.CNR MA - une coentreprise formée des sociétés chinoises Changchun Railway Vehicules et CNR Corporation - construira les voitures au coût de 566,6 millions de dollars américains. La société chinoise s'est également engagée à les assembler au Massachusetts, comme l'exigeait l'appel d'offres.
Les coûts de production de CNR MA sont beaucoup moins élevés que ceux des projets présentés par Bombardier Transport (1,08 milliard de dollars [G $]), Kawasaki (904,9 M $) et Hyundai Rotem (720,6 M $).
Une soumission très basse - inférieure de 200 M $ environ à l'estimation fournie par le Massachusetts Bay Transportation Authority - qui illustre la nouvelle concurrence chinoise dans les produits et services à haute valeur ajoutée.
CNR MA a d'ailleurs si souvent soumissionné à bas prix qu'un des autres soumissionnaires, Hyundai Rotem, demande maintenant au ministère des Transports du Massachusetts de disqualifier l'entreprise chinoise. Bombardier Transport étudie aussi la possibilité de faire la même chose.
En décrochant ce mandat, CNR MA réalise son premier contrat en Amérique du Nord dans le secteur névralgique du matériel de transport. Et ce type de percée d'entreprises chinoises dans les produits et services à haute valeur ajoutée ne fait que commencer, préviennent les spécialistes.
«Les Chinois sont arrivés ! L'exemple du métro de Boston le démontre bien», laisse tomber Marc Laforge, porte-parole de Bombardier Transport.
Zhan Su, spécialiste de l'économie chinoise et titulaire de la Chaire Stephen-Jarislowsky en gestion des affaires internationales de l'Université Laval, estime que la concurrence chinoise dans les secteurs à haute valeur ajoutée, notamment dans les services,. va s'accroître pour deux raisons fondamentales
D'une part, les fournisseurs de services chinois suivent les entreprises manufacturières chinoises à l'étranger, car ce sont leurs clients en Chine. D'autre part, les entreprises chinoises de services sont parties à la conquête du monde, comme l'avaient fait leurs compatriotes manufacturières.
«Il faut par exemple s'attendre à une présence accrue des entreprises chinoises dans les services au Canada en raison de l'augmentation des investissements chinois dans l'économie canadienne, notamment dans les ressources naturelles», insiste Zhan Su.
Selon ce spécialiste qui séjourne souvent en Chine, la concurrence chinoise se fera surtout sentir au Canada - à terme et à différents niveaux - dans cinq secteurs. Nous les détaillons dans cette page.
Les spécialistes s'entendent pour dire que, quelle que soit la forme qu'elle prendra, la concurrence chinoise dans les produits et services à haute valeur ajoutée ne sera pas un tsunami. Nos entreprises la sentiront de différentes façons, en fonction de leur secteur d'activité, et ce, au Canada aussi bien qu'à l'étranger. Le cas du métro de Boston en est un exemple éloquent.
Selon Martin Cauchon, ancien ministre libéral fédéral, aujourd'hui avocat chez DS Welch Bussières et vice-président du Conseil d'affaires Canada-Chine, la présence chinoise au Canada et en Amérique du Nord se fera aussi sentir dans des secteurs comme le tourisme et l'hôtellerie. «L'hôtel Waldorf Astoria de New York a été récemment acheté par des intérêts chinois», dit-il.
Au début d'octobre, la société Hilton Worldwide a annoncé qu'elle vendait son mythique hôtel pour 1,95 G $ US au groupe chinois Anbang Insurance. Cette transaction ne passera toutefois pas comme une lettre à la poste. À la mi-octobre, les États-Unis ont indiqué qu'ils examinaient la vente de l'hôtel new-yorkais où réside l'ambassadeur des États-Unis à l'ONU, alors que Washington et Beijing s'accusent mutuellement d'espionnage.
Télécommunications
À l'heure actuelle, la réglementation canadienne rend très difficile l'entrée de nouveaux fournisseurs de services dans le marché des télécommunications pour venir concurrencer les Bell, Telus, Rogers et Vidéotron de ce monde.
Malgré tout, les Chinois ont commencé, lentement mais sûrement, à percer ce marché, fait remarquer Martin Cauchon, avocat chez DS Welch Bussières. «Ils s'en viennent, comme en témoigne la présence accrue de Huawei au Canada.»
Le 1er novembre, la multinationale chinoise qui fournit des solutions en technologie de l'information et en communication aux entreprises a annoncé que d'ici cinq ans, elle investirait 500 M $ en Ontario en exploitation et en R-D.
China Telecom est aussi bien implantée au Canada depuis 2011. Le premier opérateur fixe et troisième opérateur mobile de Chine offre désormais des services aux entreprises d'ici pour leur permettre de développer leurs communications d'affaires entre le Canada et la Chine.
China Mobile, l'opérateur mobile le plus important de Chine, offre depuis 2011 une application aux entreprises canadiennes, qui permet à leurs appels d'être identifiés comme chinois au lieu de canadiens lorsqu'elles téléphonent en Chine. Une caractéristique à considérer quand on sait que la Chine bloque parfois certaines télécommunications en provenance de l'étranger.
Informatique
Les Chinois sont aussi de plus en plus présents dans les services informatiques au Canada, notamment par l'intermédiaire de la société informatique Lenovo, qui a acquis la division ordinateurs personnels d'IBM en 2005.
«Lenovo pénètre tous les marchés majeurs, y compris le Canada», indique Mei Ye, conseillère externe chez McKinsey, à Shanghai.
Par exemple, en mars 2013, Lenovo a conclu un partenariat avec Tech Data Canada, un grossiste-distributeur d'ordinateurs, de périphériques et de logiciels, afin d'étendre son programme Lenovo Partner Credit aux revendeurs de matériels informatiques au Canada. Cette stratégie permet à Lenovo d'accroître ses ventes au pays.
Comme la Chine a joint l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, l'accroissement de la présence chinoise dans ce secteur au Canada n'était qu'une question de temps, selon l'ancien premier ministre du Québec Bernard Landry, professeur de stratégie à l'ESG UQAM, qui enseigne parfois en Chine. «Leur concurrence se fera de plus en plus sentir», dit-il.
Transport
La réglementation canadienne interdit aux transporteurs maritimes et aériens étrangers de desservir deux villes au Canada. Par exemple, Air China ne peut pas transporter des passagers entre Montréal et Toronto, pas plus que Cosco (China Ocean Shipping) ne peut livrer de marchandises du port de Québec au port de Montréal.
C'est dans nos relations internationales que la présence chinoise se fera de plus en plus sentir au Canada. Et ce processus est déjà entamé, soulignent les spécialistes. Par exemple, en avril 2011, le port de Prince-Rupert, au nord-ouest de Vancouver, a ajouté deux nouvelles liaisons transpacifiques en recourant aux services de deux transporteurs asiatiques : Cosco et la société sud-coréenne Hanjin Shipping.
Les Chinois ne sont pas en reste dans le transport aérien. Le 7 octobre, China Airlines a conclu un partenariat avec le transport canadien WestJet afin de partager leurs codes de désignation de vols. Selon China Airlines, cette entente lui permettra «d'étendre [sa] portée au Canada grâce au service de partage de codes de WestJet».
Selon Zhan Su, de la Chaire Stephen-Jarislowsky en affaires internationales de l'Université Laval, il faut s'attendre à ce que les transporteurs chinois prennent la part du lion dans l'établissement des futures liaisons aériennes entre le Canada et la Chine, compte tenu du poids économique de cette dernière. «Ce seront des compagnies chinoises qui obtiendront les vols.»
La future ligne Montréal-Beijing pourrait d'ailleurs exploitée par Air China, partenaire d'Air Canada dans Star Alliance, a indiqué le patron d'Aéroports de Montréal (ADM), James Cherry, lors de la récente mission économique en Chine du premier ministre Philippe Couillard.
Design industriel
La création aux Occidentaux, la fabrication aux Chinois. Elle n'est pas si loin, l'époque où l'on pensait que la Chine ne pourrait pas vraiment nous concurrencer dans les activités à forte valeur ajoutée comme le design industriel. Cette époque est révolue.
Selon Bernard Landry, la Chine a une tradition millénaire formidable dans les arts, le graphisme et la peinture, sans parler du design et de l'architecture. Et la renaissance de la Chine fait en sorte que cette tradition est en train de s'exprimer à nouveau. «Il faut les attendre sur ce terrain, le vent se lève», dit Bernard Landry.
En Chine, plusieurs sociétés spécialisées en design industriel sont déjà très actives, dont LKK Design, Newplan et IMAY, souligne Mei Ye, de McKinsey. «Mais à ce jour, elles ne mènent pas d'activités au Canada.»
Services financiers
Les grandes banques chinoises sont déjà au Canada, comme l'Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) et la Bank of China. Cette dernière compte une dizaine de succursales au pays, dont une à Montréal, depuis octobre 2013. La Bank of China offre des services aux entreprises similaires à ceux qu'offrent déjà du reste les banques canadiennes.
Selon les spécialistes, c'est au chapitre des paiements en yuans chinois des fournisseurs et des clients de nos entreprises en Chine que les banques chinoises se démarqueront, d'autant que c'est au Canada que la Chine a choisi d'établir son premier centre d'échange du yuan en Amérique.
Saibal Ray, professeur de gestion à l'Université McGill, estime que la concurrence des banques chinoises pourrait aussi se faire sentir dans la gestion de patrimoine au Canada. «Elles visent la clientèle des Chinois riches établis au Canada», dit-il.
Pour sa part, Éric Lemieux, directeur général de Finance Montréal et du Centre financier international (CFI) Montréal, affirme que les banques chinoises ne représentent pas une menace sérieuse, car les institutions financières d'ici occupent bien le marché canadien. En revanche, il estime que les banques chinoises voudront «accompagner» les entreprises et les particuliers de la Chine qui investissent dans l'économie canadienne. «Elles veulent leur offrir leurs services au Canada», dit-il.