Les «Panama Papers» sur les paradis fiscaux ont créé une onde de choc planétaire. Au Canada, les documents mettraient en cause des organisations financières aussi en vue que la RBC. Quelles seront les conséquences ?
C'est très gênant pour le Canada, car il a signé en 2010 et entériné en 2013 un accord de libre-échange avec le Panama. Les «Panama Papers» rappellent, et des articles du quotidien Le Monde en traitent spécifiquement, le caractère criminel de certains fonds qu'on retrouve au Panama. On le sait, c'est de notoriété publique. Si vous faites une recherche sur Internet, vous trouverez une masse de documents de criminologues sérieux qui montrent en quoi le Panama est une lessiveuse de fonds issus du narcotrafic. Or, en vertu de cet accord de libre-échange, on intègre l'économie canadienne à cette lessiveuse. Il faudrait que Justin Trudeau explique ce que le gouvernement compte faire maintenant de ce traité fort embarrassant avec le Panama.
Dans un monde idéal, que devrait faire Ottawa pour s'attaquer aux paradis fiscaux ?
Il y a plusieurs choses à faire. En ce qui concerne les particuliers, il faudrait donner un mandat clair à l'Agence du revenu du Canada pour qu'elle entame des poursuites judiciaires quand elle tombe sur des dossiers problématiques. Pourtant, ce n'est pas le cas actuellement. Récemment, des clients de la firme KPMG ont par exemple eu droit à un arrangement à l'amiable, qui a même revu à la baisse les intérêts qu'ils devaient à l'État. Quant aux entreprises, le Canada pourrait s'impliquer dans un projet qui consisterait à créer une instance fiscale mondiale qui imposerait toutes les multinationales. Aujourd'hui, leurs filiales sont imposées dans les pays où elles sont présentes. Évidemment, il est facile pour ces entreprises de délocaliser des actifs. L'idée, ce serait d'imposer les multinationales d'une manière consolidée, en bloc. Par la suite, on pourrait répartir au prorata de leur présence dans différents pays les fruits de leur processus d'imposition. Pour établir cette méthode de partage, on pourrait par exemple s'appuyer sur le nombre d'employés et les investissements des multinationales.
Vous publierez le 12 avril un nouvel essai sur les paradis fiscaux. Que voulez-vous démontrer ?
La population paie le gros prix quand les multinationales, les grandes entreprises et les gens fortunés délocalisent des actifs dans les paradis fiscaux. Pendant ce temps, on vote des budgets d'austérité, car les gouvernements affirment qu'ils n'ont pas d'argent pour l'éducation, la culture ou les PME en région. En 2011, Google a payé 2,4 % d'impôt dans le monde après avoir délocalisé près de 10 milliards de dollars américains aux Bermudes, et ce, en cédant à sa filiale les droits d'utilisation de sa propre marque.
Alain Deneault, spécialiste des paradis fiscaux et auteur de Une escroquerie légalisée : précis sur les paradis fiscaux, qui paraîtra le 12 avril chez Écosociété. Chercheur au Réseau pour la justice fiscale, il enseigne la théorie critique à l'Université de Montréal (Département de science politique) et tient une chronique dans la revue Liberté.