Toronto — La dette canadienne sur les cartes de crédit a grimpé en flèche au cours des trois derniers mois de 2022, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt et d’inflation obstinément élevée, et les jeunes Canadiens, en particulier, semblaient compter sur le crédit pour joindre les deux bouts.
La dette de carte de crédit des Canadiens a augmenté de plus de 15% par rapport à la même période un an plus tôt et a totalisé plus de 100 milliards de dollars (G$) pour la première fois, a annoncé jeudi l’agence de surveillance du crédit Equifax.
Le ralentissement des paiements de la dette et l’augmentation des soldes annoncent une «période difficile en 2023», a estimé Laurie Campbell, directrice du bien-être financier de la société d’allègement de dette Bromwich and Smith.
«Nous n’avons pas vu les revenus augmenter dans la mesure de l’inflation, a-t-elle souligné. Les gens utilisent le crédit […] pour combler l’écart entre les revenus et les dépenses.»
La dette globale des consommateurs a augmenté au quatrième trimestre de 2022, avec une dette totale de 2370G$, en hausse de plus de 6% par rapport à la même période en 2021, a indiqué Equifax dans son dernier rapport trimestriel sur les tendances du marché du crédit à la consommation.
Selon l’agence, les effets de la hausse des taux d’intérêt n’étaient pas encore pleinement ressentis par les propriétaires de maisons, puisque plusieurs d’entre eux n’ont pas encore renouvelé leur hypothèque, mais les jeunes Canadiens ressentent particulièrement la pression financière de l’inflation.
Plus de stress pour les non-propriétaires
Le stress financier des Canadiens est apparent dans ces dernières données, en particulier pour les non-propriétaires, a noté la vice-présidente des analyses avancées chez Equifax Canada, Rebecca Oakes.
«Nous voyons des poches de stress financier commencer à apparaître», a-t-elle souligné, notant que les insolvabilités et les paiements manqués sur les produits de crédit augmentaient.
Alors que la dette hypothécaire représente les trois quarts de toutes les dettes des consommateurs et que le coût de cette dette a augmenté avec les hausses des taux d’intérêt, les consommateurs sont aussi aux prises avec des dettes non hypothécaires, comme celles des cartes de crédit, a précisé Equifax.
Les niveaux d’endettement non hypothécaire ont augmenté de 5,4% au quatrième trimestre, mais pour la génération Y, cette dette a augmenté de 8,4%.
La croissance de la dette non hypothécaire a été tirée par l’utilisation accrue du crédit et le recours aux cartes de crédit, a déclaré Equifax. Les consommateurs de moins de 35 ans ont connu le plus grand mouvement en ce qui concerne la dette globale de cartes de crédit, et plus de 1,4 million de nouvelles cartes ont été émises au cours du quatrième trimestre, un volume élevé qui, selon Equifax, a contribué à la hausse des soldes.
Les personnes sans hypothèque ont tendance à être plus jeunes ou à avoir des revenus plus faibles et moins d’épargne, ce qui explique probablement pourquoi elles sont davantage aux prises avec des dettes non hypothécaires comme celles des cartes de crédit, a précisé Mme Oakes.
«Ils commencent à éprouver un peu de difficultés, et l’inflation ne baisse pas assez vite», a-t-elle souligné.
«Ils comptent davantage sur la carte de crédit et ils commencent peut-être à rater un peu plus de paiements.»
Défaillances en hausse
Les consommateurs sans hypothèque ont connu la plus forte augmentation des paiements de dette manqués au quatrième trimestre, a précisé Equifax. La proportion de ceux qui ont manqué un paiement sur un produit de crédit au quatrième trimestre a augmenté de 11% par rapport à l’année précédente, comparativement à 6% pour les consommateurs ayant un prêt hypothécaire.
Pendant ce temps, le taux de défaillance chez les 18 à 25 ans a augmenté de près de 31% d’une année à l’autre, comparativement à une augmentation de 17% pour l’ensemble des consommateurs.
Même si les paiements par carte de crédit ont ralenti, l’utilisation des cartes est restée élevée, a ajouté Equifax. Plus de 300 000 consommateurs l’utilisent et portent un solde sur celle-ci.
Le fait que les paiements diminuent alors que les soldes augmentent est «un signe avant-coureur», a estimé Mme Oakes.
Lorsque les Canadiens sont incapables de payer plus que le paiement minimum sur leurs cartes ou commencent à manquer des paiements tout en continuant à dépenser à crédit, cela peut devenir un «cercle vicieux», a expliqué Mme Campbell.
«Une fois que les gens commencent à se retrouver en défaillance, il est très difficile de s’en sortir. Et les intérêts commencent à s’accumuler à un point tel qu’on a l’impression qu’ils ne paient que des intérêts et qu’ils ne pourront jamais se sortir de leurs dettes», a-t-elle dit.
Selon le Bureau du surintendant des faillites, les insolvabilités des consommateurs ont augmenté de 33% d’une année à l’autre en janvier, et de plus de 14% par rapport à décembre.
Dans un communiqué de presse, l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation a prévenu que les Canadiens financièrement vulnérables pourraient se tourner vers les cartes de crédit ou les marges de crédit pour combler les lacunes de leur budget, ce qui les exposerait à un risque supplémentaire.
Les Canadiens qui détiennent des hypothèques commencent à ressentir la pression, même si pour certains, cela pourrait être retardé jusqu’au moment d’un refinancement, a noté Equifax.
Le titulaire d’un prêt hypothécaire moyen payait 170$ de plus par mois qu’avant la pandémie, et l’agence s’attend à ce que ce chiffre augmente encore à mesure que de nouveaux prêts hypothécaires doivent être renouvelés.
D’autres produits d’emprunt à taux variables, comme les marges de crédit hypothécaires, ont vu les paiements mensuels minimaux augmenter de 24% par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.
Mais Mme Oakes s’attend à ce que les propriétaires ressentent de plus en plus les effets de la hausse des taux, car entre 450 000 et 500 000 Canadiens renouvelleront ou refinanceront leur hypothèque en 2023, à des niveaux similaires à ceux de 2022.
«Il faut du temps pour que le plein impact des taux d’intérêt élevés se fasse sentir», a-t-elle affirmé.