TRANSFORMATION ALIMENTAIRE. Le gouvernement de François Legault veut accélérer le déploiement de sa stratégie afin que le Québec produise et transforme davantage d’aliments, en tablant sur les nouvelles habitudes de consommation des Québécois. Au plus fort de la pandémie, au printemps 2020, certaines personnes ont carrément craint de manquer d’aliments, tandis que d’autres ont compris l’importance d’acheter des produits locaux afin d’appuyer les entreprises d’ici, voire de sauver des emplois.
En entrevue à Les Affaires, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), André Lamontagne, explique à quel point cette situation a profondément marqué l’opinion publique en ce qui concerne l’importance de réduire notre dépendance aux apports extérieurs pour nourrir la population.
«Il y a 18 mois, si un groupe alimentaire avait décidé de faire une grosse campagne publicitaire pour encourager l’achat local, ce transformateur aurait pu investir des dizaines et des dizaines de millions de dollars (M $), mais il n’aurait pas obtenu les résultats qu’on a en ce moment», affirme le ministre.
Ainsi, la valeur des ventes des produits agroalimentaires québécois a augmenté de 18 % entre octobre 2020 et octobre 2021, révèle une récente étude de Nielsen, une firme spécialisée dans l’analyse de données liées à la consommation.
Dans la dernière année, le gouvernement Legault a peaufiné sa stratégie afin d’accentuer cette tendance. Cette dernière repose sur les quatre piliers suivants, détaille le député de Johnson, une circonscrip-tion à cheval entre la Montérégie, l’Estrie et le Centre-du-Québec.
Pilier no1: augmenter la demande
Le premier pilier de la stratégie consiste à augmenter la demande pour les produits québécois dans les marchés d’alimentation du Québec. Pour y arriver, le gouvernement a lancé deux initiatives.
D’une part, il a triplé sa contribution à Aliments Québec — un organisme sans but lucratif qui fait la promotion de l’industrie bioalimentaire québécoise —, pour la faire passer de 2,5 à 7,5 M $sur un horizon de trois ans, de 2020 à 2023.
Québec veut en outre améliorer l’identification des produits québécois sur les tablettes des épiceries. «Plus ces produits-là seront bien identifiés en magasin, plus les consommateurs auront de la facilité à les trouver», note André Lamontagne.
D’autre part, le gouvernement a lancé, en septembre 2020, la première Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois destinée aux institutions publiques. Celle-ci n’est pas liée à la pandémie — c’était en fait un engagement électoral de la Coalition avenir Québec à son accession au pouvoir en 2018.
Il faut savoir que 1310 établissements liés à la santé et aux services sociaux, à l’éducation et à l’enseignement supérieur représentent 75 % des achats alimentaires gouvernementaux dans la province. Les 25 % restants sont faits par quelque 1700 autres établissements, par exemple dans le milieu de la petite enfance ou les cafétérias des ministères.
Selon le ministre, la portion de produits locaux dans leurs achats est très inégale. Elle peut osciller de 20 % à 25 % pour les établissements qui n’ont aucune préoccupation à ce sujet à 75 % à 80 % pour celles pour qui c’est très important.
Le MAPAQ n’a pas pu fournir de précisions à ce sujet. Cependant, il est de notoriété publique que l’école primaire Louis-de-France, à Trois-Rivières, fait partie des établissements pour qui l’achat alimentaire local est une priorité, tout comme les centres de la petite enfance (CPE) qui font partie du programme Petits ambassadeurs de saveurs, qui vise à sensibiliser les jeunes à l’agriculture et à la transformation alimentaire locales.
En moyenne, dans l’ensemble, cette proportion oscille entre 40 % et 45 %. André Lamontagne souhaite qu’elle atteigne près de 60 % à terme, mais il n’est pour l’instant pas en mesure de donner un horizon temporel précis.
Pilier no 2: accroître l’offre
Québec veut aussi accroître l’offre d’aliments québécois sur nos tables.
Actuellement, celle-ci est très inégale, a constaté le MAPAQ, qui a d’abord classé les secteurs agroalimentaires en quatre groupes:ceux qui sont autosuffisants; ceux qui ne sont pas autosuffisants, mais compétitifs; ceux qui ne sont pas autosuffisants et moins compétitifs; ceux qui ne sont pas autosuffisants, mais pour lesquels c’est pratiquement impossible en raison du climat et des caractéristiques des sols québécois.
Québec a ensuite défini des secteurs dans lesquels il y a un fort potentiel d’accroître l’autosuffisance et l’offre locale au Québec. À commencer par le secteur laitier. De 62 % à 63 % des produits laitiers consommés au Québec sont transformés localement — le reste provient des autres provinces canadiennes. «On a donc le potentiel d’améliorer nos capacités de transformation au Québec», affirme André Lamontagne, qui veut donc accroître la proportion de produits laitiers fabriqués au Québec, sans avoir de cibles précises pour l’instant.
Le gouvernement veut aussi développer le secteur de la transformation de légumes. Actuellement, un peu plus de 25 % de ceux consommés au Québec sont produits localement, tandis que 50 % proviennent du reste du Canada et 25 % de l’étranger.
Pilier no 3: renforcer la chaîne d’approvisionnement
Québec veut aussi renforcer la chaîne d’approvisionnement en augmentant la productivité des entreprises et leurs standards de qualité.
L’objectif est d’accroître leur compétitivité sur le marché québécois par rapport aux produits provenant des autres provinces ou de l’étranger, mais aussi sur les marchés étrangers par rapport à la concurrence étrangère.
«Plus la transformation alimentaire est efficace, productive, compétitive, et qu’elle a en même temps de hauts standards de qualité, plus elle peut avoir accès aux meilleurs marchés», insiste le ministre.
Pour y arriver, le gouvernement souhaite accélérer les investissements en robotisation et en automatisation des entreprises de l’industrie. La Financière agricole du Québec est aussi mise à contribution pour prendre davantage de risques ou intervenir dans des projets plus complexes.
Pilier no 4: Accélérer le virage écologique
Le gouvernement a deux raisons de vouloir accélérer le virage écologique du secteur agroalimentaire, souligne André Lamontagne. Premièrement, cette industrie a une «empreinte écologique importante», observe-t-il. Or, les consommateurs, de plus en plus éduqués et renseignés, ont des exigences accrues pour limiter son effet sur l’environnement. Deuxièmement, explique le ministre, Québec veut réduire la «fracture grandissante»entre ceux qui produisent et ceux qui consomment. Beaucoup de Québécois sont par exemple en faveur de l’achat local, mais déplorent dans le même temps les effets de l’activité agricole, comme les odeurs à la campagne.
«Peu importe ce que l’on consomme, il y a un processus derrière ça, rappelle-t-il. Moins on connaît ce processus, moins on peut être amené à appuyer notre agriculture.»Difficile en effet d’accroître l’offre agricole au Québec afin de favoriser l’autonomie alimentaire si une part importante des consommateurs sont hostiles aux répercussions de l’industrie sur l’environnement.
Pour corriger le tir, Québec a présenté l’an dernier le Plan d’agriculture durable 2020-2030, qui prévoit entre autres de réduire l’usage de pesticides, d’optimiser la gestion de l’eau et de protéger plus adéquatement la biodiversité.
André Lamontagne fonde entre autres beaucoup d’espoir dans les sept projets pilotes lancés cet automne aux quatre coins du Québec, de concert avec le ministère de l’Éducation, afin d’enseigner aux écoliers la réalité agricole et ses défis.
«L’objectif ultime, c’est de faire en sorte que toutes les écoles primaires du Québec puissent avoir accès à ce genre de programme, détaille le ministre, parce que ç’a un impact sur les jeunes qui, une fois rentrés à la maison, se mettent à éduquer leurs parents.»