SPÉCIAL PME. Kamel Djellal avait une belle vie en France. L’Algérien de 35 ans travaillait à Paris pour la Division du commerce électronique de la chaîne de supermarchés Carrefour, il était propriétaire de sa maison, il connaissait la sérénité avec sa femme et ses deux enfants. Puis, un beau jour de juin 2019, il est allé faire un tour à une Journée Québec, qui facilite le recrutement à l’international des entreprises québécoises. Comme ça, pour voir. Les représentants de Larochelle Groupe Conseil, une firme spécialisée dans le service-conseil en technologies de l’information, lui ont aussitôt mis le grappin dessus.
« Ils ont dit les mots magiques, ceux qui m’ont fait réaliser que je pourrais encore davantage m’épanouir avec eux, raconte Kamel Djellal, des étincelles dans les yeux. Ils ont dit “directeur”, “des fonctions plus en adéquation avec tes compétences” et “agilité”. Ils m’ont directement offert ce qui m’aurait pris une éternité à décrocher en France, car là-bas, un immigrant doit travailler cinq fois plus fort que les autres pour espérer décrocher un poste de direction. »
Ni une ni deux, il a fait ses bagages avec sa petite famille et est venu à Montréal pour devenir directeur, conseil en gestion. Larochelle s’est pliée en quatre pour l’accueillir au mieux ; elle lui a notamment attribué une marraine, une employée chargée de l’accompagner durant son intégration – entre autres pour l’aiguiller dans ses démarches administratives. « Nous l’avons aidé à se projeter dans sa nouvelle vie, indique Nathalie Fontana, directrice principale du capital humain et de l’administration chez Larochelle. Car nous savons que pour déployer tout son talent, un nouvel employé a besoin de se sentir bien dans son quotidien, surtout s’il immigre. »
Brésil, Colombie, Côte d’Ivoire, Liban, Tahiti… Les 120 employés de Larochelle viennent de tous les horizons, et cela s’explique en grande partie par l’originalité de sa politique managériale : « Nous veillons à ne pas tomber dans le piège du “fit”, vous savez, cette rengaine qui veut qu’une nouvelle recrue doive absolument “fitter” avec l’équipe en place et qui, en vérité, pousse à n’embaucher que des clones, explique Nathalie Fontana. Nous, nous cherchons plutôt à jouer la complémentarité, à enrichir les points de vue, et donc à apporter du neuf à l’équipe en place. »
Le PDG de BNP Performance philanthropique, Christian Bolduc, abonde dans le même sens. « Il y a cinq ou six ans, nous avons réalisé qu’il n’y avait chez nous que des hommes blancs, que nous n’étions pas le reflet de la société québécoise, confie-t-il. Nous avons aussitôt pris le virage de la diversité, si bien qu’à présent, le tiers de nos nouveaux employés sont issus de différentes communautés ethnoculturelles. Ce qui nous a ouvert les portes de ces communautés-là. Surtout, c’est ce qui a permis de renforcer l’engagement des employés, heureux de travailler dans un environnement plus stimulant, plus enrichissant. »
Son truc pour faire accepter un tel changement aux employés en place ? « À Noël dernier, nous avons organisé un « potluck », se souvient-il. Chacun a amené un plat traditionnel de son pays et a ainsi pu faire découvrir aux autres des saveurs inédites. C’est aussi leur faire comprendre qu’en apportant une petite touche personnelle à des ingrédients communs, on pouvait obtenir des résultats surprenants. »
« Pas de diversité sans inclusion réussie », renchérit Nogol Madani, la fondatrice de Glee Factor, une société montréalaise de conseil en culture organisationnelle. « Pour que cela puisse se produire, il est impératif de créer un espace de sécurité psychologique, c’est-à-dire une zone où chacun peut être lui-même, exprimer les idées et les préoccupations qu’il souhaite partager avec les autres, sans craindre que cela ne lui retombe sur le bout du nez. »
Pourquoi ça ? Une équipe de chercheurs pilotée par Barjinder Singh, professeur de management à l’Université d’Elon, en Caroline du Nord, a montré qu’un « environnement de travail ethnoculturellement diversifié se traduisait par une augmentation de la performance des employés pourvu qu’il y règne une véritable sécurité psychologique ». Autrement dit, la condition gagnante est bel et bien que chacun fasse preuve de curiosité et d’empathie.
Nogol Madani estime que les gestionnaires ont un rôle crucial à jouer à cet égard. D’une part, en montrant l’exemple, d’autre part, en devenant « les alliés des minorités ». Ce qu’ils peuvent effectuer en trois temps :
1. Évaluer le degré de sécurité psychologique qui règne au sein de leur équipe. En relevant des indices révélateurs, comme la participation minimale de certains aux réunions, ou encore la réticence généralisée à avouer une erreur.
2. Créer une vraie zone de sécurité psychologique. Où la parole est libre, totalement libre. Et où ce qui y est partagé est suivi de réels changements, d’améliorations concrètes du quotidien des uns et des autres.
3. Donner le ton. Incarner l’ouverture à l’autre, car le gestionnaire est avant tout un modèle. « Une suggestion : invitez un employé noir dans votre bureau et demandez-lui ce qu’il pense du mouvement Black Lives Matter, en lui expliquant que vous voulez juste mieux comprendre ce que ça représente, illustre-t-elle. Vous serez alors surpris à quel point cet employé a de choses à vous confier. »
« Il n’y a pas de raccourci vers l’inclusion, fait remarquer la fondatrice de Glee Factor. Tout changement en profondeur prend du temps, des moyens et de la détermination. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est toujours payant. »