SPÉCIAL INNOVATION. Des liens de plus en plus étroits se tissent entre les établissements de recherche publics québécois et les entreprises privées afin qu’ils puissent mieux collaborer. L’objectif est de tirer profit de toutes les innovations prometteuses.
Les chercheurs de Nergica, le centre collégial de transfert de technologie (CCTT) affilié au cégep de la Gaspésie et des Îles, ont par exemple conçu une technologie qui rend les systèmes d’énergie solaire photovoltaïque munis de stockage plus performants lorsqu’ils sont soumis à une tarification dynamique.
« On voulait maximiser les revenus des opérateurs », explique le chargé de projet à la recherche et à l’innovation de Nergica, Sergio Gualteros. Puisque l’ensoleillement ne peut pas être contrôlé, les batteries doivent être chargées quand le soleil brille et ainsi pouvoir fournir de l’électricité au moment où les prix de vente sont élevés. « On a créé un algorithme pour que cela se fasse automatiquement », ajoute l’ingénieur.
Cette technologie a pu voir le jour parce que Nergica a offert ses services à Renewable Energy Systems Canada, après avoir obtenu une subvention du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. L’entreprise montréalaise, qui est propriétaire de fermes solaires, a pu avoir accès à des chercheurs, moyennant un déboursé moindre que si elle avait formé sa propre équipe de recherche et développement.
S’il est tout naturel pour ce CCTT de collaborer avec le secteur privé, ce n’est pas le cas pour tout le milieu de la recherche publique. Voilà pourquoi l’organisme Axelys a été créé en mars 2021 par le gouvernement du Québec. Sa mission est de rapprocher les chercheurs et les entrepreneurs afin qu’ils puissent travailler ensemble, partager leurs savoirs et mieux se comprendre.
« Il faut être en mesure de conscientiser les chercheurs et les gens d’affaires au travail de l’autre pour avoir un bon transfert de valeur », constate la PDG d’Axelys, Paule De Blois.
Axelys forme actuellement un réseau de « courtiers de l’innovation ». Ces employés de centres de recherche seront responsables de repérer les projets inspirants. Ils travailleront avec des agents de développement, qui sondent déjà les entreprises pour connaître leurs besoins et pour les mettre en lien avec des chercheurs. Le tout dans l’espoir qu’une découverte puisse émerger et améliorer leurs produits et leur fonctionnement.
« Dans nos universités, on a besoin de ce personnel qui facilite ces rencontres, avance la rectrice de l’Université Laval et présidente du Conseil de l’innovation du Québec, Sophie D’Amours. Quand on regarde les meilleures pratiques dans le monde, c’est une condition gagnante. »
Un cadre strict
Si des entreprises veulent collaborer avec des chercheurs, elles doivent toutefois comprendre dans quel univers elles s’aventurent. Tout projet n’est pas matière à recherche. Parfois, un comité d’éthique est appelé à trancher sur le déroulement ou même la faisabilité de l’étude, notamment pour s’assurer du respect de l’intégrité des participants.
Dans le monde universitaire, les chercheurs décident eux-mêmes de leurs sujets d’étude. « Mais ils veulent faire avancer les connaissances et contribuer au mieux-être des individus, des organisations et de la planète », fait valoir Eugénie Brouillet, vice-rectrice à la recherche, à la création et à l’innovation de l’Université Laval.
Qui plus est, autant dans les universités que dans les CCTT, les gens d’affaires n’exercent pas de contrôle sur les travaux de recherche. « L’entreprise obtient la réponse de la recherche, mentionne Sophie D’Amours. On a des protocoles qui assurent l’intégrité et l’autonomie des chercheurs. »
De la même façon, les centres de recherche ont des règles concernant la propriété intellectuelle. Les CCTT ont l’habitude de transférer les droits de propriété aux entreprises, mais de conserver un droit d’usage à des fins de recherche. Des brevets sont rarement demandés. À l’inverse des universités, qui les privilégient quand la trouvaille s’y prête. Elles accordent alors des licences aux organismes — parfois mis sur pied par leurs étudiants — qui veulent en profiter. L’Université Laval est par exemple fiduciaire de 694 brevets.
Or, pour breveter une idée, les chercheurs ne doivent pas avoir rendu public le fruit de leurs travaux. « L’absence de brevet peut nous empêcher de commercialiser [l’innovation] dans certains cas », avise Paule De Blois. Les investisseurs en capital de risque sont réticents à financer le développement de technologies non protégées. Les courtiers de l’innovation d’Axelys veilleront donc à ce que les inventions soient présentées aux directions des universités avant d’être dévoilées publiquement.
Promouvoir les unions fructueuses
Les maillages réussis entre le milieu de la recherche et le monde des affaires méritent d’être mieux connus, estime Roseann O’Reilly Runte, PDG de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI).
Elle évoque entre autres le partenariat entre l’entreprise IVe État, de Granby, et Polytechnique Montréal, qui a permis de produire une eau plus oxygénée susceptible d’aider des personnes ayant des problèmes respiratoires. Ou encore l’essieu conçu à l’Université du Québec à Rimouski à la demande du ministère des Transports du Québec, qui a pour but d’empêcher les déneigeuses d’abîmer les routes.
« Il faut faire célébrer ces découvertes qui pourraient en inspirer d’autres », insiste la dirigeante de la FCI.