SPÉCIAL 300. Depuis sa nomination à titre de directeur général en 2021, Nicolas Hieronimus défend la vision que L’Oréal est une « entreprise technologique de beauté » (beauty tech company) plutôt qu’une simple entreprise de produits et de services cosmétiques. Un message qu’il a réitéré lors de la conférence d’ouverture du Consumer Electronics Show (CES) 2024, en janvier dernier. Pour pleinement incarner cette vision, L’Oréal a dû mobiliser des talents en France, au Québec et dans le reste du Canada.
« Depuis que notre CEO a fait cette proclamation, il y a eu un énorme changement de mentalité en interne », remarque Marc Dicko, qui est aux premières loges de cette transformation à titre de chef du numérique et du marketing de L’Oréal Canada. « Nous avons commencé à racheter des start-ups, à investir dans la technologie et à embaucher des talents », poursuit-il, citant au passage la création récente d’un pôle numérique montréalais baptisé « L’Oréal Canada Business Data Lab » en 2022. « Cette équipe fait du machine learning, explique-t-il. Nous créons nos propres modèles prédictifs ; ces algorithmes nous disent quels sont nos consommateurs les plus friands de certaines marques ou catégories de produits. Ça nous aide dans nos analyses de marché. »
Si on prend un pas de recul, on remarque toutefois que L’Oréal a placé les pièces maîtresses de son virage technologique quelques années plus tôt, en 2018. Cette même année, le géant des cosmétiques a lancé l’incubateur de start-ups « Station F » à Paris et créé le fonds d’investissement « BOLD » à Clichy. Il a aussi développé une filière canadienne, en faisant l’acquisition de la jeune pousse torontoise ModiFace, qui développe des technologies pour faire des diagnostics de peau et créer des filtres d’essai virtuel pour la beauté avec le téléphone mobile.
Selon Marc Dicko, L’Oréal compterait aujourd’hui en interne 3000 spécialistes de données et autres technologues. L’objectif derrière ce déploiement technologique : L’Oréal veut passer d’une stratégie agressive d’expansion mondiale (où la devise était « beauté pour tous ») à une stratégie de personnalisation de ses produits et de ses services, dont le leitmotiv est « beauté pour chacun ».
Personnaliser les recommandations
« La beauté pour chacun, c’est une beauté inclusive », explique Marc Dicko. L’idée est de proposer une vision de la beauté qui est « propre à chacun », et où il n’y a pas de « standard » universel. Se trouver belle ou beau, ajoute-t-il, « c’est une forme de confiance en soi », et « c’est la manière dont on se représente envers les autres ». Pour donner la possibilité à « chacun » de se sentir belle ou beau, L’Oréal compte sur un produit phare qui sera bientôt lancé sous la forme d’une application mobile nommée Beauty Genius.
« Nous mettons toute notre technologie dans un seul service », confirme le chef du numérique. Les utilisateurs de l’application pourront accéder à des fonctionnalités d’essais virtuels pour le maquillage ou la coloration des cheveux, de « diagnostics de peau » ou obtenir des conseils de cosmétique en discutant avec un agent virtuel. « Beauty Genius est un conseiller beauté disponible en tout temps pour les soins des cheveux ou de la peau », résume Marc Dicko.
Le défi d’une telle entreprise : obtenir une qualité de données qui permette la personnalisation souhaitée, explique Marc Dicko. En fait, pour que l’application puisse capter les nuances de cheveux ou de peau de l’utilisateur et lui proposer des filtres ou des diagnostics qui correspondent à la réalité, il a fallu que L’Oréal entraîne patiemment ses modèles d’IA. « Les recommandations ne viennent pas de nulle part », insiste le chef du numérique. L’Oréal a alimenté ses bases de données historiques (l’entreprise produit depuis plusieurs années des « Atlas de peaux et de cheveux » de consommateurs de partout dans le monde), elle a interrogé des maquilleuses, des dermatologistes, et elle a annoté près de 6000 photos.
Le chef du numérique voit un énorme potentiel à son application, et pas seulement auprès de la génération Z. Il pense aux personnes de 30 ans ou 40 ans adeptes de la coloration des cheveux. « La coloration est un acte beauté hyperengageant. Les gens ont très peur de se tromper. Donc, simuler une couleur avant de l’acheter en magasin ou avant d’aller au salon de coiffure pour se faire une coloration, c’est quelque chose qui rassure beaucoup les consommateurs. »
Et ce n’est qu’un début. « Si on se projette dans 5-10 ans, le miroir de la salle de bain qui donne des conseils beauté, ça n’apparaît plus du tout loufoque, suggère-t-il. On n’est plus dans les séries télé ou la science-fiction, c’est quelque chose qui s’en vient. »
Miroir, miroir (intelligent), dis-moi qui est le plus beau… selon mes propres critères !