RÉUNIONS ET CONGRÈS. « Inévitable », disent les experts interrogés par Les Affaires pour décrire la place de l’immersion virtuelle 3D au sein de l’industrie du tourisme d’affaires d’ici les prochaines années. La réalité virtuelle (RV) permet déjà de réduire les coûts liés à l’organisation d’événements d’affaires.
Le tourisme d’affaires se trouve dans une conjoncture délicate. Après le choc de la pandémie, les expérimentations du modèle hybride et l’achalandage massif du retour en « présentiel », c’est maintenant la hausse de coûts, la multiplication des « no-shows » et la pénurie de main-d’œuvre qui donnent à l’événementiel des maux de tête. Dans un tel contexte, la promesse de la RV de rassembler plusieurs personnes en simultané dans un univers virtuel se révèle séduisante.
Si rien dans la technologie actuelle — et l’intérêt de la clientèle — ne laisse encore entrevoir l’adoption de la RV par l’industrie pour ses rassemblements d’envergure, celle-ci risque tout de même de modifier en profondeur les tâches liées à l’organisation d’événements et de rencontres d’affaires.
« Selon le point de vue, la RV est intéressante ou une menace, dit Gilber Paquette, directeur général de Tourisme d’affaires Québec. Notre rôle, c’est de suivre l’évolution de cette technologie afin d’avoir un plan d’action pour aider l’industrie à s’adapter en temps et lieu. »
Pour l’heure, Gilber Paquette est peu inquiet pour les membres de l’association qu’il dirige, même s’il demeure prudent. « Actuellement, ce qui existe, c’est pas intéressant, ajoute-t-il. Il faudrait arriver à interagir avec les gens comme si on était sur place et ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. »
Pierre Bellerose est cofondateur de l’incubateur en tourisme MTLab et consultant en développement des affaires et tourisme — il a d’ailleurs donné des ateliers au printemps auprès des membres de Tourisme d’affaires Québec sur « ce qui se passe en tourisme d’affaires dans le monde et comment les petits joueurs peuvent s’approprier ces technologies ». Selon lui, les grands rassemblements ne sont pas en danger. « Ce dont on s’est vite rendu compte après la fin de la COVID, notamment pour les grands congrès, c’est que les gens veulent retourner en présentiel », dit-il.
Cela dit, l’expert est sûr que cette technologie a sa place dans l’industrie. « Le tourisme d’affaires est un des secteurs qui va être le plus impacté par le 3D virtuel, dit-il. Dans combien de temps les gens vont vraiment se l’approprier, on va voir, mais ce qu’on sait, c’est que la technologie avance très vite. »
Sans se déplacer
Jean-Nicolas de Vandelac fait partie de ces entrepreneurs qui ont vu les possibilités qu’offrait la RV pour le tourisme. Hoppin’ World, l’entreprise montréalaise qu’il a lancée en 2020, offre une plateforme (Hoppin’) permettant à plusieurs personnes (jusqu’à quatre) de se retrouver virtuellement dans des environnements du monde réel. « Hoppin’ téléporte les gens, résume l’entrepreneur. Ça permet à des représentants et à leurs clients, ou à des familles et des amis, de découvrir différentes destinations ensemble. »
Le marché Atwater, le complexe de plein air Sebka, à Saint-André-de-Kamouraska, et la plage de Santa Monica ne sont que quelques exemples des attractions touristiques qui ont déjà partagé des vidéos 360o de leurs installations sur la plateforme de l’entreprise « Ça devient un outil de vente superpuissant, dit le cofondateur. C’est presque comme être sur place, donc une visite qu’on ferait en quelques jours, on peut la faire en 20 minutes. Tout ce qu’il faut, c’est des lunettes de RV.
Hoppin’ n’a donc pas la prétention de prendre la place des rencontres humaines, mais plutôt d’accélérer les processus qui permettent l’organisation de celles-ci, explique Jean-Nicolas de Vandelac. « C’est le genre d’outil qui peut aider à réduire les frais qui entourent les événements d’affaires. »
Énigmes en équipe
La RV a également commencé à s’implanter dans les rencontres d’équipes. Nicolas Roy, cofondateur d’Immersia Studios, une entreprise de Sherbrooke qui utilise la RV dans un contexte de « coaching » en entreprise, a vu le potentiel de cette technologie pour aborder les défis du monde du travail. La plateforme qu’il a mise sur pied avec son partenaire d’affaires, Mathieu Nuth, peut transporter en simultané une dizaine de personnes dans un monde onirique ayant les Andes péruviennes comme source d’inspiration. « C’est un voyage qu’on propose, explique-t-il. On arrive dans les entreprises, les bureaux, on fait éclater les murs. C’est une aventure qui tourne en mésaventure : l’autobus va faire une chute et il faut se débrouiller, c’est une façon d’aborder les manières de collaborer. »
Toutefois, ce qui fait la réussite du produit, c’est surtout la discussion qui suit l’immersion en RV, insiste Nicolas Roy, qui compte sur un bagage en travail social, en « coaching » et en théâtre. « Si ce n’était de la rétroaction en présentiel, le jeu ne serait que ça, un jeu, dit Nicolas Roy. Si on n’avait pas du débreffage où on vient regarder ce qu’on a vécu et parler de stratégie, ça n’aurait pas un effet aussi puissant. C’est la combinaison qui va faire la richesse. »
Fatigue virtuelle
Toutes les personnes interrogées ont mentionné la difficulté de passer de longues périodes dans la RV. Dans les cas de Hoppin’ World et d’Immersia, le temps passé avec un casque sur la tête ne dépasse pas une heure. « Après 45 minutes, une heure, avec le casque, ça devient un peu lourd, dit Pierre Bellerose, qui en possède un lui-même. On ne peut pas assister à des journées complètes de conférences là-dessus. »
Toutefois, il est indéniable que la technologie sera de plus en plus sollicitée en événementiel. « Ça risque de venir par niches, ajoute Pierre Bellerose. Je ne pense pas qu’on va voir dramatiquement le monde changer en 2023, mais les changements vont être irréversibles dans certains secteurs. L’année est difficile à prévoir, tout comme personne n’avait vu venir l’importance qu’a prise l’intelligence artificielle en début d’année. »
Jean-Nicolas de Vandelac dit accorder une grande importance au contact humain, mais reconnaît que la mutation vers la RV ne fait aucun doute. « C’est la même chose qu’un ordinateur, un téléphone, c’est juste un autre type d’écran : des lunettes, dit-il. Mais l’idée est la même : utiliser des données pour nous faciliter la vie. Je pense que ce n’est pas seulement inévitable, c’est une évolution naturelle qui est déjà en cours. »
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