Q&R. GNL Québec veut construire, à Saguenay, au coût de 9 milliards de dollars (G$), une usine de gaz naturel liquéfié (GNL) pour exporter du gaz albertain en Europe et en Asie à compter de 2025. Bien que ce projet soit controversé en raison de la présence d’hydrocarbures, le président de l’entreprise Pat Fiore persiste et signe en affirmant que le projet Énergie Saguenay aura un effet bénéfique net sur la planète.
Les Affaires – La pandémie de coronavirus retarde les grands projets dans le monde. Prévoyez-vous toujours mettre le vôtre en service en 2025 si vous obtenez toutes les autorisations nécessaires ?
Pat Fiore – On prévoit pour l’instant la mise en service vers la fin de 2025, mais cela va dépendre de la durée de la crise et des audiences du BAPE, qui ont été repoussées. Il y aura peut-être à moyen terme une période de rééquilibrage entre la demande et l’offre mondiale d’énergie. Par contre, à long terme, la situation ne changera pas : la demande pour les énergies à faible teneur en carbone continuera d’augmenter.
L.A. – Le gaz naturel conventionnel est une énergie fossile, même si elle émet beaucoup moins de gaz à effet de serre (GES) que le pétrole et le charbon. Si plusieurs analyses affirment que le gaz est une énergie de transition, d’autres rétorquent qu’il faut passer directement aux énergies renouvelables. Votre projet est-il encore pertinent dans ce contexte ?
P.F. – Toutes les études crédibles affirment qu’il faut un portefeuille de trois solutions, et chacune d’entre elles représente le tiers des efforts requis. Premièrement, il faut diminuer la consommation d’énergie et augmenter l’efficacité énergétique, surtout en Occident. Deuxièmement, nous avons davantage besoin d’énergie renouvelable telle que le solaire. Troisièmement, des énergies de transition, en l’occurrence du gaz naturel, sont requises pour remplacer les énergies plus polluantes, comme le charbon.
L.A. – Même si les volumes de gaz naturel renouvelable (GNR) sont infimes pour l’instant, le Québec en produit de plus en plus, ce qui permet de réduire les émissions de méthane, un GES beaucoup plus nocif que le C02. Pourriez-vous un jour en liquéfier pour en exporter en Europe et en Asie ?
P.F. – Le GNR produit au Québec devrait d’abord être consommé au Québec. Notre usine pourrait elle-même en consommer pour ses propres besoins de fonctionnement, car nous voulons être carboneutres dès 2025. Si le Québec a un jour des surplus de GNR, on serait heureux de le liquéfier et de l’exporter. Cela dit, nos exportations futures de gaz naturel conventionnel auront aussi un effet bénéfique sur l’environnement, puisqu’elles déplaceront la consommation de pétrole et de charbon dans le monde. Nos exportations de GNL réduiront les émissions de GES nettes de la planète de 28 millions de tonnes par année, ce qui représente grosso modo environ les émissions totales du Québec (79 millions de tonnes en 2016) tous les trois ans.
L.A. – Même si TC Énergie a décidé à la fin mars de construire son projet de pipeline Keystone XL [8 G$, reliant l’Alberta au Nebraska], on observe néanmoins une résistance plus importante au Canada à l’endroit des grands projets dans le secteur des ressources naturelles. En février, Teck Resources a abandonné son projet d’exploitation des sables bitumineux Frontier, de 20 G$, en Alberta, pointant du doigt le manque de cohérence entre Ottawa et les provinces en matière de lutte aux changements climatiques. Y a-t-il une inquiétude de votre côté sur le fait qu’il soit devenu très difficile de réaliser des projets énergétiques d’hydrocarbures au pays ?
P.F. – Non, cette situation ne nous inquiète pas, car les caractéristiques de notre projet d’usine de liquéfaction sont très différentes des autres projets du genre dans le monde et au Canada. Non seulement notre usine s’alimentera-t-elle en hydroélectricité, mais elle sera aussi très compacte. De plus, nous minimiserons les effets de nos activités sur le vie marine, en réduisant au maximum les bruits aquatiques de nos navires qui transporteront le GNL sur la rivière Saguenay. On veut aussi aider les autres navires à réduire le bruit dans le fjord.
L.A. – En mars, un important investisseur intéressé par votre projet (il pourrait s’agir de la société d’investissement Berkshire Hathaway de Warren Buffett, selon certains médias) a finalement choisi de ne pas s’impliquer. Êtes-vous à la recherche de nouveaux investisseurs ?
P.F. – Tout d’abord, je ne me prononcerai pas sur l’identité de cet investisseur. Par ailleurs, nous sommes en discussion avec d’autres investisseurs potentiels, mais la COVID-19 crée une certaine incertitude. Cela dit, on fait des rondes de financement depuis 2013, et on a regroupé un groupe d’une quinzaine d’investisseurs qui sont très intéressés par notre projet à long terme, dans les prochaines décennies.