PHILANTHROPIE. La fracture numérique, si elle n’est pas résorbée, peut se transformer en véritable fossé. C’est le scénario peu enviable qui guette les quelque 8000 organismes communautaires du Québec dans les prochaines années. Leur retard technologique est en effet manifeste par rapport aux autres secteurs d’activité. Les 11 Centraide du Québec ont donc lancé, en mars dernier, DATAide, un programme qui vise à aider environ 3000 d’entre eux à négocier la courbe parfois prononcée du virage numérique.
«Dans notre monde, il est aberrant que près du tiers des organismes communautaires accuse un retard en matière de numérique», déplore Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal, qui pilote le nouveau parcours d’apprentissage et d’accompagnement, le premier du genre au Québec. Les grands perdants sont ultimement les bénéficiaires de ces organismes, lesquels subissent de plein fouet les conséquences de cette énième source d’inégalités sociales.
Besoins criants
Une étude de l’Observatoire québécois des inégalités publiée en 2019, soit avant la pandémie de COVID-19, brossait déjà un portrait alarmant. On peut y lire que plus d’un organisme sur deux, sur la cinquantaine sondée, a un parc informatique âgé de plus de trois ans. Aussi, moins de la moitié emploie l’automatisation et les bases de données massives, des outils pourtant essentiels pour tirer parti des données informatiques que la vaste majorité récolte. Seulement 6% des organismes font usage d’algorithmes.
Le manque d’expertise technique, de temps et d’argent est une raison fréquemment mise en lumière dans les réponses de l’enquête. C’est donc autour de ces éléments que DATAide s’articule. «Le programme est composé de webinaires, de formations pour développer les compétences des intervenants et d’activités de soutien au leadership. Notre objectif est de faciliter la concrétisation de projets de transformation numérique au cours des trois prochaines années», explique Claude Pinard.
Bien sûr, tous les organismes communautaires n’en sont pas au même point dans ces réflexions. Si certains sont déjà en position pour innover, d’autres, au contraire, ont tout à faire pour numériser leurs activités. Entre les deux se situe une multitude de cas d’espèce. C’est pourquoi trois types d’accompagnement sont proposés, de même que 500 bourses destinées à soutenir des projets d’acquisition de matériel ou de licences, leur mise en œuvre, ainsi que des «initiatives novatrices».
«Les organismes participants pourront […] être encore plus agiles en ce qui concerne leur capacité à soutenir les personnes en situation de vulnérabilité», a souligné le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, par communiqué.
Un premier webinaire de sensibilisation, de deux heures et ouvert à tous, est à l’horaire en mai. Par la suite, 180 organismes triés sur le volet s’engageront dans une formation de 12 semaines. Le but est de développer un plan de transition numérique digne de ce nom. «En parallèle, nous créerons un bassin d’une soixantaine d’ambassadeurs du numérique qui portera la voix du milieu communautaire», spécifie Marc-André Delorme, conseiller en planification et en développement pour le projet DATAide.
En concertation
Tous les organismes communautaires participants commenteront leur expérience tout au long de la durée du projet. «Ils vont nous aider à ajuster le tir en cours de route, indique Marc-André Delorme. Nous sommes persuadés d’ainsi atteindre les cibles que nous nous sommes fixées.» Chaque organisme sera en outre invité à porter un regard critique sur sa propre maturité technologique, notamment en ce qui a trait à l’utilisation des données de ses bénéficiaires.
À ce chapitre, l’entreprise sociale montréalaise Nord Ouvert apporte un précieux coup de pouce. Fondé en 2011, cet organisme sans but lucratif se spécialise entre autres dans la gouvernance et la gestion des données ainsi que dans l’inclusion numérique. Présent partout au Canada, il agit à titre de partenaire responsable de la création du contenu de formation. «Nord Ouvert nous aide à structurer notre approche, à la rendre accessible», résume Marc-André Delorme.
«Différentes valeurs peuvent être accordées aux données en fonction de la situation particulière de l’organisme. Nous voulons que les apprenants réfléchissent à leur réalité, à leur contexte», affirme Samuel Kohn, directeur des programmes à Nord Ouvert. Cela n’a pas à être une montagne. «De petites choses peuvent être mises en place assez rapidement. Une simple stratégie de suivi et d’évaluation fondée sur des données peut avoir des répercussions énormes sur les services offerts.»