PHILANTHROPIE. Selon le rapport «Tendances et motivations relatives aux dons et au bénévolat des entreprises», publié par Imagine Canada en novembre dernier, 43 % des entreprises prévoyaient une augmentation de leur budget d'investissement communautaire en 2020. Seule une entreprise sur dix disait prévoir une diminution. Avec la crise, leurs plans ont-ils changé ?
«Nous n'avons pas encore constaté d'importants changements dans les stratégies d'investissement communautaire des entreprises. La majorité de celles à qui nous avons parlé récemment a décidé de garder le cap pour leur stratégie», rapporte Bruce MacDonald, PDG d'Imagine Canada. Reste que la situation peut encore évoluer, ajoute-t-il, et la plupart d'entre elles s'y préparent effectivement.
Bien structurer ses investissements
Bruce MacDonald estime qu'il importe, surtout en temps de crise, d'avoir une équipe capable d'envisager des solutions innovantes, un atout déjà précieux en temps normal. «L'investissement communautaire doit aussi être l'aboutissement d'une réflexion à long terme, même en période d'incertitude.»
Veiller à intégrer ses objectifs sociaux à sa stratégie globale continue d'être important, de même que de bien communiquer ses initiatives d'investissement communautaire. «Et cela exige d'employer le ton juste, d'adopter une attitude compatissante et, parfois, de faire passer sa marque au second plan», explique Bruce MacDonald.
Du soutien aux besoins de première ligne
Daniel Asselin, président et fondateur d'Épisode, une firme d'experts-conseils en philanthropie, constate quant à lui des changements importants dans les plans des entreprises à l'égard de leurs investissements communautaires.
«C'est majeur, dit-il. Les grandes familles et les entreprises me le disent : tout le monde s'est tourné vers des besoins de première ligne.» Ce sont, par exemple, les causes telles que la santé mentale, la jeunesse, les aînés, les femmes violentées et les banques alimentaires. Beaucoup d'entreprises ont ainsi reporté les investissements qu'elles prévoyaient faire dans d'autres causes, comme le sport et la culture.
Malgré cela, certains signes sont encourageants. «Les entreprises disent qu'elles ont ralenti certaines demandes pour donner plus aux organismes de première ligne, mais qu'elles allaient donner plus, dit Daniel Asselin. L'argent donné actuellement ne serait pas amputée des sommes données normalement.»
D'autres entreprises, par contre, vont plutôt élaguer. «Elles disent qu'avec la crise, elles mettent des demandes sur le hold et qu'elles doivent repenser à leur investissement philanthropique. Et ça, ça fait plus mal», continue Daniel Asselin. Selon ses observations, environ 50 % des entreprises se trouvent dans le camp «élaguer», et l'autre 50 % dans le camp «investir autant ou plus».
Un automne charnière
L'automne sera une période charnière pour l'investissement, croit Daniel Asselin. «Là, c'est la crise, dit-il. Les entreprises n'ont pas le choix, surtout les grandes. Elles ont une capacité financière et une responsabilité sociale. Ce sont les piliers en philanthropie. Elles doivent aider. Elles ne réfléchissent pas ; elles agissent. C'est l'après-coup qui m'inquiète.»
Selon lui, c'est à l'automne que les investissements philanthropiques risquent d'être resserrés. «Nous, ce qu'on pense, c'est que l'économie philanthropique pour 2020, c'est fini. Les organismes devront faire avec ce qu'ils ont jusqu'en décembre, et s'ils sont chanceux, ils toucheront peut-être quelques dons de grande famille, ou peut-être de la collectivité.»
De manière générale, Daniel Asselin croit donc que la valeur des dons, dans le marché québécois, diminuera. Il anticipe une perte de 500 millions de dollars sur une enveloppe qui tourne habituellement autour de 3 milliards de dollars (G$).
Est-ce que la valeur des dons rebondira à sa valeur de 3 G$ en 2021 ? «Pas sûr, pas sûr du tout», craint Daniel Asselin. Il raconte qu'il a fallu de huit à dix ans, après la crise de 2009, pour que les montants de dons reprennent leur valeur précrise. Mais il reste optimiste. Selon lui, la crise pourrait aussi avoir un peu de positif, en ce que cette diminution des investissements pourrait forcer les organismes à collaborer mieux, et donc, à terme, à aider mieux.