Quelques ingénieurs sont aussi des entrepreneurs. Certains se retrouvent à la tête d'entreprises qui ont réussi. Gros plan sur les stratégies d'ingénieurs devenus pdg.
SERGE GENDRON, GROUPE AGF
La meilleure défense, c'est toujours l'attaque
Lorsque Serge Gendron prend les rênes de l'entreprise paternelle en 1981, Acier Gendron émerge d'une décennie très difficile... et n'a toujours pas la tête hors de l'eau. «Dans les années 1970, l'inflation avait été forte. Après les Jeux olympiques de 1976, les projets de construction étaient plus que rares. De nombreuses sociétés n'ont pas tenu le coup. Afin de traverser la tempête, il nous a fallu gérer au jour le jour», se souvient M. Gendron.
La pérennité de ce fabricant et installateur d'acier d'armature était en jeu. Dans le but de renforcer les assises financières de l'entreprise, Serge Gendron étendra patiemment, des années durant, son rayon d'action à l'extérieur de la province. «Pour croître, il fallait sortir du Québec», résume le dirigeant.
Trente ans après, la PME est devenue une multinationale de 2 250 employés. Rebaptisée Groupe AGF, elle compte 17 usines. La moitié du chiffre d'affaires de 400 millions de dollars (M$) provient de l'extérieur du Québec. Grâce aux fusions, aux acquisitions et aux créations de filiales, l'entreprise comprend maintenant 38 sociétés, au Canada et à l'étranger.
Certains des projets d'AGF font de très belles cartes de visite, comme le métro de Dubaï, la rampe de lancement de la fusée Soyouz en Guyane française et le stade de soccer Green Point, à Cape Town, en Afrique du Sud. Le Groupe annonce régulièrement de nouveaux contrats à l'étranger, comme l'agrandissement d'un hôpital à Abou Dhabi ou la construction d'un pont au Koweït.
Dans l'esprit du dirigeant de 61 ans, il n'y a pas de meilleure défense que l'attaque. «La pérennité d'AGF implique d'avoir la taille et l'envergure nécessaires pour se distinguer à l'échelle internationale», martèle ce diplômé de Polytechnique en génie civil. À ses yeux, l'avenir d'AGF passe aussi par la diversification des produits et par une relève de haut niveau.
C'est pourquoi l'entreprise de Longueuil a créé une division d'échafaudage qui se situerait, selon M. Gendron, au premier rang canadien pour ses parts de marché. Une autre filiale, KLH Élément, a commencé à installer des systèmes structuraux de panneaux en bois lamellé-croisé, qui constituent une «alternative au béton».
L'heure est à la préparation de la relève, avec une troisième génération de Gendron en train de faire ses armes. Également ingénieur, le fils, Maxime, coordonne l'équipe d'AGF à l'oeuvre sur le chantier de l'autoroute 30, un très gros contrat d'une valeur de 100 M$. Un ingénieur pourrait donc en remplacer un autre...
JACQUES L'ÉCUYER, 5N PLUS
Savoir saisir les occasions d'affaires
Il y a une dizaine d'années, Jacques L'Écuyer travaillait dans le laboratoire de recherche d'une minière. Il dirige aujourd'hui 5N Plus, une multinationale au chiffre d'affaires qui, selon les prévisions, devrait dépasser 700 M$ en 2012.
Cette entreprise située dans l'arrondissement Saint-Laurent, à Montréal, produit des métaux d'une grande pureté, qui sont destinés à des applications électroniques, électro-optiques et pharmaceutiques. Après avoir ouvert une vingtaine d'usines et de bureaux de vente en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, 5N Plus emploie plus de 750 personnes, dont 120 à Montréal. Négociée en Bourse, elle attire l'attention des chroniqueurs financiers et des investisseurs. Son président s'est classé finaliste au titre de PDG de l'année 2011 de LesAffaires.com.
L'entreprise est issue de travaux menés au cours des années 1990 dans les laboratoires de la minière Noranda, qui fait maintenant partie de l'empire Xstrata. «Noranda cherchait à se défaire de ses activités de recherche. Avec trois de mes collègues, j'ai vu que certaines activités comportaient un grand potentiel de commercialisation. L'occasion était à saisir», raconte M. L'Écuyer.
Il devient ainsi, en 2000, copropriétaire de la nouvelle entreprise 5N Plus. Quelques années plus tard, en 2007, un premier appel public à l'épargne est lancé afin d'accélérer sa croissance.
«Le chercheur en moi s'est mué en expert de la mise en production, de la commercialisation et des relations avec les investisseurs», constate ce diplômé de Polytechnique de Montréal et de la University of Birmingham en Angleterre.
Malgré ces changements de rôle fondamentaux, sa formation continue à lui rendre de précieux services. «Être ingénieur me confère une crédibilité auprès des investisseurs et des financiers. Cela me donne aussi des outils pour mieux cerner et vulgariser les enjeux de l'industrie», dit le président. Il ajoute que le mode de pensée «analytique» perfectionné au cours de ses années d'études l'a aidé à maîtriser le domaine des états financiers et des stratégies de financement.
«Je crois aussi que mes compétences soft en gestion d'équipes et en leadership sont en partie attribuables à ma formation d'ingénieur», ajoute-t-il.
Nul doute que ce dirigeant de 51 ans aura besoin de tous ces atouts pour continuer à faire bonne figure auprès des investisseurs. Car une partie de son travail consiste maintenant à les rassurer. «On traverse une période où les marchés sont très volatils. Beaucoup d'investisseurs sont sur les nerfs, et je reçois beaucoup d'appels. Je dois expliquer notre stratégie, notre vision, et être convaincant», souligne le dirigeant.
NANCY VENNEMAN, ALTITUDE AEROSPACE
Airbus et Boeing dans la mire
Anticonformiste, adepte du risque calculé et débordante d'énergie, Nancy Venneman a quitté un emploi en or afin de lancer son entreprise. Sa réussite est telle que l'ingénieure de 40 ans veut partir à la conquête de Toulouse et de Seattle pour jouer dans la cour d'Airbus et de Boeing.
En optant pour le génie mécanique, Nancy Venneman savait qu'elle entrait dans un bastion masculin. «En génie mécanique, neuf étudiants sur dix étaient des hommes», se souvient-elle.
Après dix années au service de Bombardier Aéronautique, elle lance sa propre entreprise fin 2005 : Altitude Aerospace. «Mes collègues et mes amis étaient étonnés. Pourquoi quitter un employeur qui offre de très belles occasions d'avancement ?» dit-elle.
Toutefois, la décision était réfléchie. Car l'esprit entrepreneurial de Mme Venneman avait trouvé le filon. «Chez Bombardier, je m'occupais des travaux de réparation et de modification d'avions existants. Ces travaux s'appliquaient à toute la gamme d'avions, et par le fait même, à tous les acheteurs. Mais qu'arrivait-il lorsque certains clients désiraient des modifications ne s'appliquant qu'à leurs flottes ? Bombardier ne pouvait répondre à ces besoins particuliers. Je cherchais l'idée, je l'avais trouvée», résume-t-elle.
Encore fallait-il avoir la foi et l'énergie pour la mettre en pratique. «Aux débuts d'Altitude Aerospace, j'étais seule au volant. Je m'occupais de tout. Je faisais des semaines de 70 heures. Et pour maintenir les coûts le plus bas possible, j'embauchais des spécialistes avec qui je signais des contrats à durée déterminée», explique-t-elle.
Toutefois, au bout de deux ans, l'entreprise montréal aide est devenue rentable, et les embauches se sont multipliées. Altitude Aerospace emploie environ 50 personnes. Ses clients sont surtout des transporteurs qui utilisent des avions de Bombardier. Et le rythme d'embauche devrait s'accroître en cours d'année. «Nous prévoyons augmenter nos effectifs à 75 ingénieurs», dit-elle. La clé du développement futur : devenir un des fournisseurs d'Airbus et de Boeing. «Nous envisageons d'ouvrir nos propres bureaux à Toulouse et à Seattle afin de participer au développement des nouveaux produits d'Airbus et de Boeing, comme nous le faisons déjà avec la CSeries et le nouveau Global 7000/8000 de Bombardier», dit-elle.