MARCHÉS DES AÎNÉS. Si l'influence conjuguée du vieillissement de la population et des nouvelles technologies sur différents secteurs économiques ne fait pas encore grand bruit, il en sera autrement d'ici dix ans, estime Roger Simard, pharmacien, «entrepreneur en série» et consultant en technologie. Aperçu des changements en cours et à venir.
Le design
Pour M. Simard, le changement est inéluctable. Actuellement, les grands joueurs comme Apple, Amazon ou Google investissent en recherche et développement pour plaire aux têtes grises. Normal, puisque le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus passera de 605 millions à 2 milliards de personnes entre 2000 et 2050, selon l'Organisation mondiale de la Santé. «Ces entreprises ont donc les yeux tournés vers ce marché de l'avenir, alors qu'on sait qu'énormément d'argent sera dépensé par les retraités dans les 15 prochaines années», estime celui qui agit comme porte-parole de Rêve d'Aîné, une initiative de l'Observatoire santé du Cossette Lab visant à réfléchir à des solutions concrètes pour la population vieillissante.
Il constate toutefois que les entreprises qui réfléchissent à ces questions sont encore rares. «Dans la grande majorité des départements de design ou des start-up, ce sont des personnes de 25 à 45 ans qui développent de nouveaux produits. Ils n'ont aucune idée de la réalité que vivent les personnes plus âgées.» M. Simard cite les écouteurs en exemple : pourquoi ne pas en élaborer qui permettent d'améliorer l'ouïe ? Et pourquoi les marchettes ont-elles l'air tout droit sorties des années 1940 ?
En somme, les entreprises ont tout avantage à intégrer les aînés dans leurs processus de réflexion si elles veulent s'adapter aux transformations de l'économie qu'engendrera le vieillissement de la population.
L'immobilier
Avec l'apparition des capteurs de chute et autres systèmes d'alerte, le domaine de l'immobilier - incluant le maintien à domicile - est l'un des premiers à avoir été touché par les transformations technologiques liées au vieillissement de la population. «On peut aussi penser aux assistants vocaux comme Alexa ou Google Home, qui peuvent être très utiles, notamment en aidant la personne à prendre un rendez-vous chez le médecin ou en commandant ses médicaments à la pharmacie», souligne M. Simard. Ce marché décuplera, alors que l'intelligence artificielle et la reconnaissance vocale permettront d'aller encore plus loin.
Les résidences pour aînés commencent elles aussi à ajouter une touche technologique à leur offre. Un virage amorcé depuis quelques années par Le Groupe Maurice. «L'utilisation des technologies a fait un bond énorme chez nos usagers et nous tentons d'être à l'avant-garde à ce chapitre», mentionne Sarah Ouellette, conseillère aux communications et affaires publiques de l'entreprise. Chaque résident a par exemple un dossier médical - et personnel - électronique. «S'il rencontre du personnel soignant, comme une infirmière, celle-ci y consigne de l'information. Ça dépasse toutefois la santé, puisqu'on y inscrit aussi des informations personnelles tel son dessert préféré. On pourrait donc lui apporter si elle était en convalescence», explique-t-elle.
En 2017, Le Groupe Maurice a aussi installé des bornes interactives dans ses différents établissements. Les aînés peuvent y faire défiler le menu du jour, l'horaire des activités, connaître les actualités ou les films à l'horaire en soirée... «Très vite, les résidents nous ont demandé que ces informations soient accessibles sur leur télévision, par notre canal communautaire, puis sur leur tablette ou leur téléphone cellulaire. Ainsi, ils peuvent recevoir une notification quand leur cours de yoga est annulé et ne pas se presser», illustre Mme Ouellette, qui souligne qu'il s'agit d'un outil unique sur le marché.
La formule semble fonctionner, puisque l'application a été téléchargée plus de 4 200 fois depuis le début de l'année. Un nombre impressionnant, considérant que la moyenne d'âge des résidents est de 82 ans.
La santé
«C'est quand on vit plus vieux qu'apparaissent différentes pathologies chroniques, fait remarquer M. Simard. Plusieurs technologies pourraient aider à les prévenir.» D'ailleurs, il a lui-même mené une étude à ce sujet en 2014. L'homme derrière l'entreprise de «santé connectée» Pharmacie 3.0 a suivi une quarantaine d'aînés, mesurant plusieurs données comme leur tension ou leur taux de sucre. «Les technologies de suivi à distance sont au point, mais c'est l'intégration des objets connectés au système de santé qui pose problème, affirme-t-il. On s'occupe surtout de maladie, et non de prévention.»
Plusieurs grands joueurs s'intéressent malgré tout à la combinaison entre science des données et santé. «Les entreprises sont en mesure d'accumuler des données, de faire des analyses prédictives et d'aider les personnes à moduler leurs comportements pour éviter certains problèmes.» D'ailleurs, Amazon, JP Morgan et Berkshire Hathaway ont recruté ceux qu'ils qualifient de «meilleurs médecins de la planète» pour lancer Haven Healthcare, un organisme à but non lucratif conjoint qui utilise notamment les mégadonnées pour offrir des soins de qualité à moindre coût à leurs employés respectifs.
«S'ils peuvent le faire pour leurs équipes, ils pourraient aussi le développer pour les aînés», fait valoir M. Simard. Un domaine à surveiller, d'autant plus que d'autres grands joueurs tels que l'American Association of Retired Persons et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont mis en place des laboratoires qui se penchent sur les technologies et le vieillissement.