REPRENEURIAT. Le transfert d’entreprises des mains des entrepreneurs qui ont plus de 50 ans vers les plus jeunes générations est crucial pour l’économie québécoise et il faudra diversifier les méthodes pour y arriver.
L’Indice entrepreneurial québécois 2022 a révélé que six propriétaires de PME sur dix ont l’intention de vendre ou de céder leur entreprise d’ici dix ans. Face à cette vague, il est impératif de mettre en place des conditions qui vont favoriser le repreneuriat. « Notre travail, ce n’est pas de sauver tout le monde, mais les entreprises qui ont un gros potentiel », estime le PDG du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), Alexandre Ollive.
Il note que la taille de l’entreprise n’est pas l’unique aspect à considérer. « Il y a des PME en région qui ont une valeur sociale et culturelle, poursuit-il. Quand on ferme un dépanneur ou une boulangerie dans un village, cela fait mal à la communauté. On ne regarde pas juste les chiffres. »
Vivement la famille !
Pour Catherine Beaucage, directrice du transfert et du rayonnement du programme Familles en affaires — HEC Montréal, le repreneuriat familial est une des clés pour accroître les reprises. En citant une enquête du Conference Board mené en 2019, elle souligne que 63,1 % des entreprises privées au pays sont familiales. Pourtant, seulement 10 % des transferts sont familiaux, selon le CTEQ.
« Dans le discours actuel du repreneuriat, les entreprises familiales sont les grandes oubliées, dit-elle. On les tient pour acquis. »
Elle mentionne que ces entreprises familiales sont des pépinières à entrepreneurs, puisque d’après une étude réalisée par son organisation, 38 % des familles sondées ont plus d’une entreprise.
Catherine Beaucage juge également que les entreprises familiales sont plus pérennes, car leur propriétaire adopte davantage une vision à long terme. Afin de favoriser le repreneuriat familial, il faut que les repreneurs soient vus et considérés comme des entrepreneurs à part entière qui vont faire progresser leur entreprise, selon elle.
Le professeur au Département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal Jorge Mejia fait aussi valoir qu’on doit voir les cédants comme des relayeurs. « On se focalise trop sur les repreneurs et on oublie les relayeurs. Il manque de reconnaissance de l’importance de son rôle dans la réussite et dans la pérennité de l’organisation », juge-t-il.
D’après lui, des programmes comme Famille en affaires — HEC Montréal sont essentiels pour appuyer le repreneuriat familial. À partir de données non publiées de l’Indice entrepreneurial québécois 2022, Jorge Mejia mentionne que 93 % de tous les répondants disent avoir besoin de soutien pour le transfert.
Le manque de diversité
La faible diversité entrepreneuriale au Québec constitue également un frein au repreneuriat.
« À l’exception des femmes, il semble plus facile pour les membres de communautés marginalisées de démarrer ex nihilo que de participer à un processus de transfert », soutient le directeur scientifique de l’Observatoire du repreneuriat et du transfert d’entreprise du Québec, Marc Duhamel.
Celui qui est aussi professeur à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières s’appuie sur des données de l’Enquête sur le financement et la croissance des PME de Statistique Canada, réalisée en 2020, pour avancer ces hypothèses.
Les femmes représentent 30,1 % des repreneurs, comparativement à 24,7 % des entrepreneurs qui partent à zéro. « Donc, le repreneuriat est une avenue légèrement plus inclusive pour les femmes au Québec que l’entrepreneuriat en 2020 », souligne-t-il. Aucune étude quantitative n’explique cette différence en faveur du repreneuriat féminin, mais l’universitaire énumère deux pistes possibles. La première, c’est que les repreneuses jouissent d’un soutien financier du cédant, notamment dans des transferts familiaux. La deuxième, c’est que le repreneuriat favorise davantage l’équilibre travail-famille que dans le cas d’une entreprise partie de rien.
Malgré ces données encourageantes, le PDG du CTEQ remarque qu’en chiffre absolu, les femmes sont deux fois moins nombreuses que les hommes dans le repreneuriat. « Il y a une asymétrie », déclare Alexandre Ollive.
Du côté des Premières Nations, la situation n’est pas favorable. « Les Autochtones représentent 0,9 % des PME résultant d’un transfert d’entreprise au Québec, alors qu’ils représentent 1,3 % de celles démarrées ex nihilo », soutient Marc Duhamel.
Même chose chez les immigrants nés à l’extérieur du Canada. Ils étaient relativement mieux représentés chez les entrepreneurs (16,7 %) que chez les repreneurs (13,8 %).
La faiblesse du repreneuriat parmi ces groupes minoritaires peut notamment s’expliquer par un manque de diversité des cédants potentiels.
Pour ces groupes, mettre la main sur du financement peut se révéler plus problématique, car les montants nécessaires sont généralement plus importants pour un transfert que pour la création d’une PME. « Puisque de récentes études montrent que l’accès au capital peut faire l’objet de discrimination statistique et avec un préjudice inconscient, une plus faible diversité peut nuire aux transferts d’entreprise impliquant les membres de ces communautés », croit-il.
Le Québec devra impérativement accroître la participation de groupes minoritaires afin d’assurer la pérennité d’entreprise existante. « C’est notre tâche de rendre le repreneuriat plus inclusif, affirme Alexandre Ollive. On doit collaborer avec des partenaires. C’est un gros travail, mais c’est important pour l’économie du Québec. »