GRANDS DE LA COMPTABILITÉ. Pendant que des cabinets comptables tentent de prendre le virage numérique, Le Chiffre est déjà sorti de la courbe. Normal, puisque la technologie fait en quelque sorte partie de l’ADN de cette entreprise qui se décrit comme le « leader en comptabilité infonuagique au Québec ».
Le Chiffre, c’est d’abord l’histoire de deux amis, Jean Gabriel Crevier et Thomas-Louis Lafleur, qui ont décidé de lancer une entreprise de services comptables à contre-courant de celle exploitée pendant plus de 30 ans par le père de Jean Gabriel, un comptable compétent, mais entouré de tours de papier. « On s’est dit, ça fonctionne ses affaires, mais c’est tout croche. La technologie pourrait nous aider », affirme le comptable professionnel agréé (CPA) Thomas-Louis Lafleur.
En 2013, les deux partenaires fondent Le Chiffre en misant dès le départ sur les technologies du moment. Leur entreprise compte aujourd’hui près de 300 clients — surtout de jeunes pousses provenant du secteur technologique — auxquels elle offre des services comptables infonuagiques, mais aussi des conseils concernant leurs décisions d’affaires et les outils technologiques qu’elles peuvent implanter.
Leur démarche repose sur un large éventail de logiciels qui permettent notamment d’automatiser certaines tâches, de faire de la détection automatique d’informations et surtout de créer un espace commun pour le comptable et le client. « On travaille dans les mêmes systèmes, alors qu’auparavant, c’était “je reçois de la documentation, je fais de la magie noire et je te renvoie un rapport”, illustre Thomas-Louis Lafleur. On se positionne comme bras droit de l’entrepreneur. Cette intégration et cette transparence nous permettent d’être présents dans ses affaires quotidiennes et de le conseiller. »
En prenant en compte toutes les applications — de la comptabilité à l’automatisation de l’envoi d’une infolettre, en passant par la gestion d’un site web transactionnel et les communications internes de différentes équipes —, il estime que ses clients en comptent entre 20 et 30 en moyenne. La multiplication des outils peut entraîner une certaine lourdeur (« il y a une courbe d’apprentissage qui est plus longue pour les nouveaux venus »), mais rien d’insurmontable, dit-il.
À son avis, tous ces outils augmentent la capacité de ses clients de générer ce qui leur importe, qu’il s’agisse de textes, de transactions à comptabiliser ou d’états de compte, par exemple. Quickbooks, l’une des applications de comptabilité les plus populaires sur le marché, a par exemple fait des « pas de géant » au cours des dernières années, estime-t-il.
Le décloisonnement des données, qui permet aux comptables d’y avoir accès à distance et en temps réel, pourrait peut-être même un jour offrir des recommandations financières appuyées sur l’intelligence artificielle, soulève le CPA. Un algorithme pourrait ainsi tirer des conclusions à partir de chiffres, comme l’IA générative parvient actuellement à le faire à partir de mots. « Ce sont des choses qu’on pourrait voir émerger d’ici peu, d’après moi », dit-il.
Prudence malgré tout
Thomas-Louis Lafleur n’hésite pas à adopter une nouvelle technologie qui peut rendre son travail plus efficace, mais il ne le fait pas les yeux fermés. Le jugement professionnel du CPA est toujours de mise, rappelle-t-il, particulièrement lorsqu’il est question d’outils comme ChatGPT.
« Avec un assistant comme celui-là, c’est comme si tu avais quelqu’un qui te soufflait des réponses à l’oreille qui ne sont pas toujours vraies. Comme si tu avais parfois un assistant très brillant, parfois très mauvais, affirme-t-il. L’intérêt de ce genre d’outil-là, c’est que ça nourrit la réflexion. Un jour, ça remplacera peut-être la réflexion, mais on n’en est pas là pour l’instant. »
Pour le moment, l’entrepreneur constate que le modèle que Jean Gabriel et lui ont développé avec Le Chiffre est désormais repris par les nouvelles entreprises de services comptables qui voient le jour partout dans la province. « Il n’y a pas une nouvelle pousse en ce moment au Québec, du moins dans notre marché, qui n’utilise pas de la technologie équivalente à ce qu’on a intégré au fil des ans, dit-il. Il y a dix ans, on était des extraterrestres, mais maintenant, c’est monnaie courante. »