Convaincre les donneurs d'ordres de laisser plus de place au développement durable dans leurs projets reste un défi important pour les firmes de génie-conseil.
À la bibliothèque Raymond-Lévesque, de Longueuil, tout a été conçu en vue de réduire l'empreinte écologique du bâtiment. Urinoirs sans eau, énergie solaire passive, dalles radiantes, climatisation naturelle assurée par des brise-soleil, etc.
Toutes ces mesures ont réduit la consommation énergétique du bâtiment de 53% et diminué sa consommation d'eau de 40% comparativement à un immeuble semblable.
Ces éléments font que le bâtiment, inauguré en janvier 2011 et construit au coût de 16 millions de dollars, est cité comme un exemple de construction intégrant les concepts du développement durable.
Pourtant, cet aspect, devenu une des principales réussites du projet, ne figurait pas parmi les points les plus importants lors de la présentation initiale, raconte l'ingénieur Martin Roy, pionnier du développement durable en ingénierie au Québec. « Cet élément ne représentait qu'une ligne dans le document du client », signale-t-il.
Vaincre les résistances
Il est donc essentiel, pour les ingénieurs, de pousser davantage cette dimension auprès des donneurs d'ordres. « Il y a chez eux une certaine paresse intellectuelle et une réticence aux changements. Il faut les convaincre de ne pas s'arrêter aux façons de faire traditionnelles », dit M. Roy.
Par exemple, quand il a parlé pour la première fois à son client de la possibilité d'installer des fenêtres ouvrantes, la question de la sécurité est tout de suite venue sur le tapis. « Comme il ne pouvait pas y avoir de fenêtres au bas des murs en raison des risques de vol, on a aménagé un conduit dans le plancher et un volet au périmètre extérieur. C'est une solution originale qui fonctionne bien », dit M. Roy.
Les ingénieurs ont plus d'un tour dans leur sac pour améliorer les aspects environnementaux d'un bâtiment, au bénéfice de leurs utilisateurs. Un exemple concret : « Dans les années 1990, on s'est rendu compte que les gens étaient malades dans les immeubles en raison de la mauvaise qualité de l'air et du manque de lumière naturelle. Notre rôle a été de trouver des solutions à ces problèmes. Parfois, il faut réintroduire des principes de base vieux de 1 000 ans », explique-t-il.
Dans le cas de la bibliothèque Raymond-Lévesque, M. Roy et son équipe ont appliqué un principe simple, celui de mettre en place un éclairage naturel et de permettre l'ouverture des fenêtres pour favoriser une ventilation naturelle. Dans un autre projet, celui de la Tohu, il a fait un trou dans le toit pour évacuer la chaleur et permettre à l'air de circuler, comme cela se pratiquait dans les théâtres de l'Antiquité.
Enjeux économiques
Pour la plupart des gens, le développement durable s'arrête à la dimension environnementale. Mais le concept va bien plus loin. « Il intègre aussi une dimension sociale aux projets dans le but premier d'assurer leur pérennité, tout en faisant en sorte qu'ils contribuent concrètement aux aspects économiques », dit Gaston Déry, ingénieur chez Roche, groupe-conseil.
La crainte des coûts supplémentaires figure parmi les principales raisons pour lesquelles le développement durable est souvent mis de côté par les donneurs d'ordres.
« Les projets qui intègrent le développement durable ont connu une hausse durant sept ou huit ans. Depuis la crise économique, ils stagnent parce qu'on pense à tort qu'ils coûtent plus cher. Or, c'est faux ! La salle de spectacle de la Tohu, certifiée LEED, a coûté 5% moins cher qu'un projet semblable », soutient M. Roy, qui a conçu ce bâtiment.
Intégrer l'approche durable peut même être très avantageux pour une PME. « Cela contribue à la création de valeur. C'est un avantage concurrentiel qui permet de se positionner dans un environnement économique mondialisé. Et ce sera encore plus vrai lorsque la crise sera passée », estime Étienne Couture, président du Réseau des ingénieurs du Québec.
Que ce soit pour construire une garderie, une salle de théâtre ou un complexe de logements sociaux, il y a toujours moyen d'intégrer une dimension durable à un projet, estime M. Roy. « Les problèmes environnementaux actuels nous incitent à pousser les projets dans cette direction. C'est une industrie qui n'aura pas le choix de croître. »