INFRASTRUCTURES ET GRANDS PROJETS. Prendre le virage numérique est l’un des objectifs phares du Plan d’action pour le secteur de la construction annoncé par le gouvernement en mars dernier. La preuve en est un financement de près de 61,5 millions de dollars (M$) afin de moderniser les infrastructures technologiques des donneurs d’ouvrage et de soutenir les entreprises du secteur dans cette transformation.
Cette modernisation technologique est rendue nécessaire par un retard constaté en matière de productivité. «Le secteur québécois de la construction est un secteur généralement traditionnel dans ses façons de faire, aussi bien dans le domaine de la conception que dans celui de la construction des ouvrages», peut-on lire dans le Plan d’action, qui souligne par ailleurs le caractère mondial du problème. L’industrie de la construction se classait effectivement au 21e rang des 22 secteurs examinés pour l’implantation du numérique, selon un indice McKinsey sur le passage à la dématérialisation publié en 2016 et cité par Québec.
Un effort concerté
La modélisation des données du bâtiment (BIM, pour « Building information modeling ») se situe au cœur des avancées technologiques encouragées par le gouvernement provincial. Ce processus permet de regrouper toutes les données relatives à un ouvrage au sein d’une maquette numérique, rendant ainsi possible un travail collaboratif entre les différents acteurs du bâtiment. Or, le secteur de la construction est justement caractérisé par un nombre élevé d’intervenants, ce qui peut rendre la coordination difficile.
Le BIM est une technologie de rupture, estime Daniel Forgues, professeur au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure (ETS). «Auparavant, les dessins étaient exécutés sur des supports statiques, ce qui générait des problèmes de coordination, explique-t-il. En partageant la même information, le BIM permet d’aller chercher un meilleur échange de connaissances entre les différents intervenants et d’effectuer des simulations.»
Le tout « permet de produire des bâtiments de meilleure qualité et de réduire les actions correctives », poursuit-il, ce qui fait que le travail sur le chantier est optimisé et que les coûts peuvent être réduits. D’ailleurs, une étude du Boston Consulting Group, citée dans le Plan d’action gouvernemental, estimait en 2016 qu’une numérisation à grande échelle dans la construction non résidentielle entraînerait des économies mondiales annuelles de 13 % à 21 % dans les phases d’ingénierie et de construction et de 10 % à 17 % dans la phase d’exploitation d’ici 2026.
«On compare souvent le BIM à un couteau suisse, car il a des usages multiples pour la conception et la réalisation de projets, le suivi de chantier, etc. Mais pour apprivoiser tout le potentiel de cette technologie, il faut un effort concerté», souligne Daniel Forgues. Ainsi, il se réjouit que le gouvernement ait choisi la voie du consensus pour faciliter ce virage.
Le 30 juin, ce dernier a effectivement annoncé une feuille de route gouvernementale pour la modélisation des données du bâtiment réunissant six acteurs majeurs dans la réalisation des infrastructures publiques : la Société québécoise des infrastructures (SQI), le ministère des Transports, la Société d’habitation du Québec, Hydro-Québec, la Ville de Montréal et la Ville de Québec. Réalisée avec le soutien de chercheurs, dont certains de l’ETS, et en consultation avec des représentants de l’industrie, cette feuille de route fixe des cibles aux donneurs d’ouvrages publics afin d’implanter le BIM selon un échéancier déployé sur cinq ans. De manière générale, les entreprises du secteur sont incitées à procéder à leur transition numérique.
La SQI s’est par exemple engagée à mettre en œuvre le BIM en 2021-2022 sur tous ses projets supérieurs à 50 M$, et dès 2023-2024 pour ceux à partir de 5 M$. Un objectif sur lequel l’organisme public a pris de l’avance. «Nous déployons depuis 2016 notre propre feuille de route, développée en très proche collaboration avec l’industrie, fait valoir Guy Paquin, directeur général des stratégies et des projets spéciaux à la SQI. Cette collaboration est essentielle, car si on regarde dans le miroir et que personne ne suit derrière, cela ne fonctionne pas.»
Guy Paquin se félicite également de l’approche flexible et graduelle — et unique au Canada — de la feuille de route adoptée par le gouvernement québécois. « À nous six, nous bénéficions d’une synergie incroyable qui permettra de créer une vague, car notre voix porte plus fort», assure celui qui observe déjà les retombées positives du BIM sur les chantiers de la SQI. «Nos chefs de projets constatent beaucoup moins d’ordres de changement [modifications à l’ouvrage dans le contrat, NDLR]», constate-t-il. Il se rappelle également avoir pris part, il y a trois ans, à une discussion à ce sujet aux côtés d’entrepreneurs de la construction « qui ne voulaient plus travailler qu’en BIM ». « L’un d’eux disait entre autres que ses employés étaient plus heureux sur les chantiers, car il y a une meilleure harmonie », raconte-t-il.
---
-9,5 %
La productivité du travail par heure a baissé de 9,5 % dans le secteur de la construction durant la période 2004-2019, selon Statistique Canada. En comparaison, elle a augmenté de 11,6 % dans le secteur de la fabrication.
Entre 3 G$ et 5 G$
La numérisation à grande échelle de l’environnement bâti entraînerait entre 3 et 5 milliards de dollars d’économies en dépenses en immobilisation par année au Québec, selon le Groupe BIM Québec.
Source : Étude sur le déploiement des outils et des pratiques de la modélisation des données du bâtiment au Québec, Groupe BIM Québec (2018)
Quelques avantages du BIM et des pratiques intégrées
— Réduction des coûts (3 % à 10 %) et de la durée des projets (7 % à 19 %)
— Productivité accrue sur les chantiers (6 à 28 %), notamment par la réduction des reprises en chantier (50 % à 95 %)
— Réduction des demandes d’information (jusqu’à 90 %)
Source : Projet de déploiement des pratiques intégrées BIM-PCI, SQI (2015)