Libre-échange, concurrence féroce des pays d'Asie, volatilité du dollar canadien, crise immobilière aux États-Unis... Beaucoup d'éléments se sont ligués contre l'industrie québécoise du meuble depuis 15 ans. Cette tempête parfaite l'a cependant poussée à se renouveler. Elle mise maintenant sur la personnalisation des modèles, le design et l'innovation.
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Les nuages se dissipent pour l'industrie québécoise du meuble. Plusieurs éléments contextuels jouent actuellement en faveur de nos fabricants, soutient Pierre Richard, pdg de l'Association des fabricants de meubles du Québec (AFMQ). Il fait preuve d'optimisme qu'il qualifie lui-même de «prudent».
La crise immobilière américaine est chose du passée, et l'économie de notre voisin, principal marché d'exportation des fabricants d'ici, a amorcé une relance, tout comme les mises en chantiers. La valeur du dollar canadien a baissé.
La concurrence des pays asiatiques se fait moins forte. En Chine, la main-d'oeuvre coûte de 15 à 20 % plus cher qu'il y a quelques années, et la hausse du yuan joue en notre faveur. Sans compter que le coût du transport a aussi augmenté, parfois d'environ 70 %.
Toutefois, selon M. Richard, ce sont les efforts de l'industrie pour se transformer et pour trouver ses créneaux qui ont été les plus significatifs.
«Quel que soit le contexte, nous ne gagnerons pas une guerre des prix contre la Chine, admet-il. Il faut miser sur un mélange de bons prix, de qualité, de design, de personnalisation et de courts délais de livraison. Bref, faire ce que les grandes usines chinoises ne peuvent pas faire.»
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Personnalisation des produits
La personnalisation de masse est probablement la tendance la plus forte chez les fabricants québécois. Les entreprises ont investi des millions de dollars depuis le milieu des années 2000 pour offrir plus de choix aux consommateurs. «Il y a quelque temps, j'étais chez Elran, à Pointe-Claire, rapporte Pierre Richard. Pendant 40 minutes, j'ai observé le chargement de fauteuils pour la livraison. Je n'en ai pas vu deux pareils ! Et je regarde une entreprise comme Canadel. Lorsque le client va sur son site, il peut dessiner son meuble en choisissant parmi une foule d'options, voir le résultat au fur et à mesure, puis le commander et l'obtenir rapidement. C'est impressionnant !»
Internet est d'ailleurs devenu l'autre grand vecteur de la transformation de l'industrie. Des entreprises comme Bestar et South Shore vendent désormais surtout en ligne, que ce soit sur leur propre site Internet ou sur celui des détaillants. Ces derniers, et notamment les grandes surfaces, raffolent de ce nouveau modèle.
«Si vous allez dans la section meubles dans un magasin Walmart, vous verrez surtout des produits fabriqués en Chine. Mais si vous allez sur leur site Internet, ce sont les meubles de South Shore que vous trouverez», fait remarquer Torsten Lihra, gestionnaire en transfert de connaissances chez FPinnovations, un des plus grands centres de recherche privé au monde sur le secteur forestier.
Pourquoi ? Parce que le produit commandé par le client lui sera envoyé directement de chez South Shore. Comme les détaillants ne veulent plus payer pour d'immenses entrepôts remplis de meubles qu'ils ne sont pas sûrs de vendre, pour eux, ce nouveau modèle d'entreprise est fort bénéfique. Cela rend les fabricants d'ici de nouveau attrayants pour le marché local.
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Une industrie qui revient de loin
Faisons un bref retour en arrière : avant les années 1990, les fabricants canadiens vendent surtout dans le marché intérieur, exportent peu et tablent majoritairement sur une production de masse. Puis, un accord de libre-échange est signé avec les États-Unis en 1987. Les grands fabricants américains commencent à vendre au Canada, ce qui coûte des parts de marché aux manufacturiers d'ici, qui paniquent un peu. Mais assez rapidement, ils constatent l'énorme occasion que représente le marché américain et commencent à y exporter en masse, à tel point que certains d'entre eux finissent par vendre davantage aux États-Unis qu'au Canada.
De 1992 à 2000, les expéditions canadiennes de meubles aux États-Unis passent de 200 millions de dollars US à près d'un milliard de dollars américains (G $ US). Avec en prime un dollar canadien qui dépasse rarement les 0,70 $ US.
Puis, les importations chinoises surgissent. De 1996 à 2006, les exportations de mobilier de maison de la Chine augmentent de 1 500 % vers le Canada et de 1 230 % vers les États-Unis. La Chine dépasse le Canada à titre de premier pays d'origine des meubles sur le marché américain en 2000. En 2007, ses exportations dans ce pays valent 5 G $ US, par rapport à 1 G $ US pour les exportations canadiennes. L'année suivante, c'est le Vietnam qui dépasse le Canada. Puis le Mexique.
Et comme si ça ne suffisait pas, le dollar canadien est alors à parité avec celui de notre voisin du Sud, qui est en plus touché par une crise immobilière majeure. «La crise n'a pas aidé, mais le gros des dommages avait été fait depuis l'arrivée sur ce marché des produits asiatiques et l'irruption de grandes surfaces comme Costco et Walmart, qui ont nui aux plus petits détaillants où l'on vendait les meubles produits ici», explique Torsten Lihra, qui a analysé l'évolution de l'industrie du meuble au Canada dans sa thèse de doctorat présentée en 2009 à l'Université Laval. Selon lui, au moment de la crise immobilière américaine, l'industrie du meuble avait déjà amorcé un fort mouvement de transformation.
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Viser l'Asie et l'Europe pour sortir du marché local
«L'industrie du meuble peut encore être porteuse pour le Québec», soutient le ministre de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations du Québec, Jacques Daoust.
Du même souffle, il admet que le secteur est confronté à un contexte radicalement différent de celui qui prévalait avant la fin des années 1990. «Beaucoup de travail a été fait et devra encore être fait pour s'y adapter», poursuit-il.
Le ministre a des espoirs qui dépassent largement le marché local. Tout juste rentré d'un voyage officiel en Chine au moment de l'entrevue avec Les Affaires., Jacques Daoust rêve que l'industrie d'ici se taille des parts de marché dans l'empire du Milieu. «Chaque année, 35 millions de personnes rejoignent les rangs de la classe moyenne en Chine, fait-il remarquer. Beaucoup d'entre elles commencent à consommer et recherchent des produits de qualité. Il faut apprendre à faire du Made for China.»
Le ministre ne ferme pas la porte non plus à une augmentation des ventes sur le marché européen. «C'est un immense marché, donc si nous réussissons à en accaparer une petite part, ça représente beaucoup de ventes», souligne-t-il. Pour y arriver, il faut que l'étiquette «Fabriqué au Canada» devienne synonyme de qualité sur les autres marchés. Ce qui demande une signature forte, selon le ministre. «Nous avons des atouts, beaucoup de bois noble que nous savons travailler avec art», lance-t-il.
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Faire reconnaître la qualité des produits d'ici
Un effort en ce sens a été fait avec Meubles Qualité Canada, un regroupement d'une centaine de fabricants de meubles canadiens placés sous la responsabilité de l'AFMQ, qui s'est donné pour mission de faire connaître la qualité des produits d'ici, en plus de sensibiliser les Canadiens aux avantages économiques et environnementaux de l'achat local.
Le gouvernement peut aussi appuyer ces efforts à l'international. Le ministre Daoust pense notamment à Expansion Québec, un organisme sans but lucratif créé par le gouvernement du Parti québécois en décembre 2012, qui a pour mandat d'offrir des services aux exportateurs québécois en terre étrangère.
Grâce à une entente signée entre le gouvernement du Québec et Entreprise Rhône-Alpes International (ERAI), les exportateurs québécois ont accès à des services semblables dans les 27 bureaux d'ERAI dans le monde. Expansion Québec a pour sa part déployé depuis sa création une quinzaine de bureaux à l'étranger dans des endroits stratégiques, en Afrique, en Amérique, en Asie et en Europe.
De son côté, Torsten Lihra n'anticipe pas un retour aux volumes importants des années 1990. «Toutefois, même si le volume demeure plus faible, la valeur par unité est plus grande, dit-il. Plus personne dans cette industrie ne table sur la faiblesse du dollar canadien ou sur la production de masse pour survivre et croître. L'industrie a bel et bien pris un nouveau virage.»