INDUSTRIE DES TI. Après trois ans de transformation numérique effrénée provoquée par la pandémie, l’année 2023 pourrait être celle des grandes questions. Outre la récession appréhendée, qui pèsera sur les choix technologiques, les entreprises devront se positionner sur leur utilisation de l’intelligence artificielle, leur gestion des données personnelles et leur besoin de personnel en informatique. Tour d’horizon des tendances TI à suivre cette année.
« Je vais être l’inverse de bien du monde, mais je crois que le buzz entourant l’intelligence artificielle est en train de redescendre, lance d’entrée de jeu Paul Raymond, PDG de la firme québécoise spécialisée en transformation numérique Alithya. Les gens commencent à en voir les limites. C’est une assistance qui peut nous rendre plus productifs et plus efficaces, mais ça ne remplacera pas l’humain. »
Grâce au générateur de texte ChatGPT, l’intelligence artificielle est devenue le sujet de l’heure avant, pendant et après les Fêtes. Ce qu’il faut toutefois comprendre, c’est qu’il s’agit d’une déclinaison parmi tant d’autres d’une technologique désormais mature. Celle-ci cherche à déployer ses algorithmes dans toutes les industries : par exemple, en marketing avec la firme Coveo basée à Québec ou la jeune pousse montréalaise Hippoc, ou dans les technologies vertes avec BrainBox IA et True North Marine.
Cette technologie suscite autant d’espoir que de craintes. Dans un récent rapport de la firme Deloitte (Tech Trends 2023), il est mentionné que 73 % des entreprises considèrent l’IA comme « essentiel à leur réussite », alors que, dans le même souffle, près de la moitié des dirigeants (47 %) se questionnent sur la transparence des algorithmes. « La meilleure approche pour aborder l’IA n’est pas de prendre cette technologie de manière isolée, mais de la placer dans un processus plus large qui considère l’interaction entre les humains et ces systèmes-là », explique Madhavi Mantha, associée en technologie, stratégie et transformation de Deloitte Canada.
Plus largement, la notion de « gestion de la confiance numérique » s’immisce tranquillement au cœur des entreprises. D’une part, les premières dispositions de la Loi 25 sur la protection des données personnelles sont entrées en vigueur en septembre dernier. D’autre part, les pirates informatiques n’ont jamais été aussi agressifs et ingénieux dans leurs tentatives de fraude, ce qui donne du travail à tout un secteur de la cybersécurité. « Les firmes qui se spécialisent dans la réponse aux incidents sont en forte croissance, annonce Nicolas Duguay, directeur du développement des marchés et des programmes de cybersécurité de l’organisme In-Sec-M. Elles interviennent pour mitiger les attaques et réparer des pots cassés. »
Cette réalité génère une réflexion sur « la confiance des systèmes », dit Madhavi Mantha. « On s’interroge sur la traçabilité des données et on entend de plus en plus parler de preuves d’identification numérique », note-t-elle. La technologie de la chaîne de blocs pourrait dès lors faire partie des « nouveaux protocoles » considérés pour garantir la pérennité des données.
Le recrutement: un défi à long terme
Le secteur TI doit en outre trouver des solutions pour pallier une pénurie sectorielle qui date de bien avant la pandémie. « Si on regarde la vitesse à laquelle l’université forme de nouveaux talents, c’est loin de suffire à la demande », constate le PDG d’Alithya.
Peinant à pourvoir ses postes au Québec, l’entreprise montréalaise a ouvert en 2021 un bureau d’une soixantaine de personnes à Tanger au Maroc. « J’appelle cela du smart offshoring [délocalisation intelligente], explique Paul Raymond. Nous cherchions un pays francophone qui soit stable géopolitiquement. Puis nous avions plusieurs employés d’origines marocaines au Québec pour faire le pont avec l’équipe sur place. »
D’autres entreprises courtisent les talents locaux, en révisant à la hausse leur grille de rémunération et leur rémunération globale — comme l’a fait Vigilance Santé, un éditeur de logiciels de soutien clinique. Certains flirtent avec les nouvelles tendances RH. La firme de jeux vidéo Eidos — qui a 28 postes à pourvoir sur son site web, a amorcé une « transition » vers la semaine de quatre jours en 2021. Nicole Martel, PDG de l’Association québécoise des technologies, note un engouement pour les politiques ESG ou encore la certification B Corp, citant l’entreprise de transformation numérique Talsom, qui s’est engagée dans cette seconde voie en 2019. « Ces entreprises savent qu’elles sont plus attractives en affichant leur sensibilité pour le développement durable. »
Enfin, mentionnons que la formation en entreprise fait aussi partie des solutions. Au début de l’année 2020, Bell Canada a créé sa propre université (Bell U) pour aider ses employés à acquérir de nouvelles compétences technologiques. Alithya a quant à elle lancé la Faculté Agile. « Nous recrutons des gens qui ont étudié en ressources humaines, en psychologie, en comptabilité ou autres, puis nous leur apprenons à configurer des systèmes destinés à leur champ d’expertise, explique Paul Raymond. Ce sont des gens qui amènent beaucoup d’énergie et qui restent plus longtemps dans l’entreprise. »