DOSSIER INTELLIGENCE ARTIFICIELLE - La montée en taille d'un écosystème comme celui de l'intelligence artificielle à Montréal ne se fait pas en claquant des doigts.
Yoshua Bengio, professeur titulaire à l'Université de Montréal et directeur de l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal (MILA), soutient que les étudiants se bousculent au portillon pour s'inscrire dans un domaine lié à l'intelligence artificielle. «Mon défi principal en ce moment est de recruter des professeurs pour satisfaire la demande étudiante. Les chercheurs qui ont de l'expérience se font recruter par l'industrie grâce à des salaires mirobolants», raconte-t-il.
M. Bengio est toutefois un peu rassuré par une tendance qui se dessine depuis quelque temps : certains professeurs recrutés par des industriels choisissent de continuer d'enseigner à l'université à temps partiel. «De cette manière, on ne les perd pas complètement», dit-il.
«Le décalage entre la disponibilité des professeurs et les demandes des étudiants va durer encore quelques années. Ça montre l'importance des subventions gouvernementales, car nous devons offrir de meilleurs environnements de recherche, équipements et salaires pour favoriser la rétention des professeurs dans les universités», explique-t-il, en précisant que le MILA regroupe environ 200 personnes en ce moment.
Joëlle Pineau, directrice du laboratoire montréalais Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR), codirigeante du Reasoning and Learning Lab et professeure à l'Université McGill, croit également que l'écosystème montréalais aurait besoin de plus d'expérience pour mieux encadrer «la jeune génération hyper talentueuse» qui entrera sous peu sur le marché du travail.
«Les professeurs sont très sollicités. On essaie de répondre à la demande. Si on regarde les experts qui sortaient de nos universités il y a 5 ou 10 ans, on se rend compte que la plupart sont allés s'installer ailleurs. Notre défi est d'encourager ceux et celles qui ont quitté la ville à revenir s'installer ici», dit-elle.
Assez de subventions ?
Yoshua Bengio affirme que les subventions gouvernementales du fédéral et du provincial sont suffisantes pour «mettre de l'essence dans la machine» : «En ce moment, c'est parfait. On se donne les moyens de recruter les meilleurs chercheurs et de développer un écosystème de PME en intelligence artificielle, dont certaines pourraient éventuellement devenir des leaders du secteur dans le monde. Par contre, les programmes actuels ne seront pas suffisants pour les cinq prochaines années», estime-t-il.
Selon le chercheur, si les politiciens veulent que le Canada demeure dans le groupe des leaders mondiaux du secteur, ils devront continuer de soutenir l'industrie en proportion de sa taille. Le secteur privé devra également faire sa part : «Du côté industriel, les montants dont on parle en ce moment, c'est des peanuts comparé à ce qui peut s'investir dans des domaines comme le pétrole et le gaz ou l'aéronautique», dit-il.
Une mission de sensibilisation
Le directeur général du Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM), Françoys Labonté, insiste aussi sur le besoin, pour les chercheurs, de sensibiliser les dirigeants d'entreprises aux exigences qu'impose l'intelligence artificielle.
«Les PME n'ont pas toutes l'envergure et la quantité de données pour mettre en oeuvre des techniques d'intelligence artificielle efficaces. Beaucoup de clients potentiels viennent nous voir et veulent faire de l'IA sans comprendre la technologie. Il y a parfois des modèles statistiques existant depuis de nombreuses années qui sont mieux adaptés que l'IA pour résoudre certaines problématiques», dit-il.
M. Labonté ajoute que, pour développer des stratégies d'intelligence artificielle qui aient de la valeur ajoutée, toutes les PME québécoises de certains secteurs devraient regrouper leurs données dans un seul ensemble. «Pour le moment, les dirigeants ne sont pas prêts à écouter ce genre de discours», affirme-t-il.
«Pour assurer sa pérennité, l'écosystème montréalais en IA doit être "inclusif"», soutient Angelique Mannella, vice-principale associée, innovation et partenariats, à l'Université McGill.
Cette dernière souhaite créer des occasions uniques pour les femmes en misant sur le réseautage et le mentorat. «Les femmes qui étudient en sciences informatiques et en génie informatique ont la possibilité de devenir des leaders techniques dans le domaine. C'est nécessaire de créer un environnement où elles peuvent réaliser leur potentiel et innover», dit-elle.
L'université a entre autres offert une formation en juin dernier qui a permis à 20 participantes «d'approfondir leurs connaissances en apprentissage-machine et en développement et conception de produits numériques». La formation comprenait également un programme de mentorat rendu possible grâce à des partenariats entre l'Université McGill et des entreprises montréalaises oeuvrant dans le milieu de l'intelligence artificielle.