FOCUS ESTRIE. Réussir à commercialiser un médicament est un parcours du combattant que peu de start-ups arrivent à terminer. Mais Tatum Bioscience de Sherbrooke compte faire mentir les pronostics.
Fondée en 2019, cette entreprise mise sur une démarche novatrice afin de vaincre le cancer.
« Notre médicament est secrété par une bactérie, avant d’être purifié, explique le président et cofondateur, Jean-François Millau. C’est complètement différent d’un médicament à base de produits chimiques. »
L’avantage de cette technique consiste en une production simplifiée parce que les bactéries sont utilisées pour créer la molécule désirée. Il y a aussi le fait qu’un médicament conçu de cette manière pourrait mener à plusieurs activités thérapeutiques parallèles, ce qui est difficile à faire avec une méthode traditionnelle.
« On fait 100% de l’immuno-oncologie, note l’entrepreneur. On développe des molécules qui activent le système immunitaire pour que ce dernier s’attaque aux cellules cancéreuses, soit des tumeurs solides, comme des mélanomes et des cancers du poumon. »
De l’appui en Estrie
La jeune pousse a été fondée avec le professeur de biologie Sébastien Rodrigue et le chercheur Kevin Neil, tous deux de l’Université de Sherbrooke. Les trois hommes se sont d’ailleurs rencontrés dans les couloirs de cet établissement de l’Estrie.
La start-up a commencé ses activités de laboratoire en juin 2020. Pour la première phase de ses essais sur des souris, elle a récolté environ 700 000 $. Tatum Bioscience a reçu des sommes du fonds montréalais BoxOne Ventures, ainsi que de Sherbrooke Innopole et d’ACET Capital, le bras financier de l’incubateur dans lequel les entrepreneurs ont fait leurs premiers pas à Sherbrooke.
La jeune pousse espère maintenant amasser 45 millions de dollars afin d’obtenir les premières données cliniques. « La première ronde n’a pas été trop difficile, explique Jean-François Millau. Pour démarrer une entreprise, ce n’est pas là où il y a le plus de barrières. Toutefois, on se trouve un peu dans la vallée de la mort, car on a besoin davantage d’argent pour poursuivre nos tests, sans aucune garantie que cela va fonctionner en fin de compte. »
« Les gens pensent que l’argent coule à flots pour les start-ups, parce qu’on nous montre des exceptions, comme Facebook ou Airbnb, mais ce n’est pas facile de récolter des sous, même quand l’économie va bien », ajoute-t-il.
Surmonter les obstacles
Le Français d’origine, qui est venu à Sherbrooke en 2007 pour faire un postdoctorat en biologie, souligne que les premières données sur les souris révèlent que la démarche de Tatum Bioscience est prometteuse. « On s’est comparé avec des molécules sur le marché, mentionne-t-il. Elles fonctionnent bien, mais seulement pour une fraction des malades, disons le quart. C’est un problème. On veut donc développer un médicament qui active la réponse immunitaire et qui fasse augmenter les taux de manière significative. »
« Toutefois, on se rend compte que c’est plus difficile de récolter de l’argent avec des technologies de rupture comme la nôtre », avance-t-il.
Il note que très peu de fonds au Canada ont les reins assez solides pour prendre le risque de financer des essais cliniques. Il y en a beaucoup plus aux États-Unis, mais ils sont plus difficiles à convaincre, selon lui, en raison de la concurrence des start-ups de Boston ou de San Francisco. Il y a aussi le fait que les trois entrepreneurs en sont à leur première expérience de développement de médicaments.
« C’est plus facile d’obtenir de l’investissement quand tu as déjà eu du succès, remarque-t-il. Pour gagner la confiance des capitaux de risque, on doit montrer qu’on sait bien s’entourer et qu’on fait ce qu’on a dit qu’on allait faire. »
Il s’inspire de François Ravenelle, PDG et cofondateur d’Inversago Pharma, la start-up montréalaise qui a été récemment vendue à la multinationale danoise Novo Nordisk pour une somme qui pourrait dépasser 1 milliard de dollars américains.
Jean-François Millau souhaite que la prochaine ronde de financement soit bouclée d’ici les fêtes.
« On est sans arrêt en train de se diluer, dit-il. Il n’y a pas d’autres solutions pour obtenir du financement. Mais ultimement, on espère augmenter la valeur de l’entreprise en vue d’être racheté ou de trouver un partenaire si on atteint un jour l’étape de la commercialisation. »
Cet article a initialement été publié dans l'édition papier du journal Les Affaires du 11 octobre 2023.