FOCUS RÉGIONAL CENTRE-DU-QUÉBEC. Les moyens limités pour se préparer aux incendies de plus en plus dévastateurs ont sonné l’alarme pour deux pompiers du Centre-du-Québec. Les simulateurs en réalité virtuelle pour interventions à risque conçus par Tactik 360, l’entreprise qu’ils ont lancée en 2018, sont déjà utilisés dans une vingtaine de casernes dans la province.
C’est en exerçant leur métier à Kingsey Falls, dans le Centre-du-Québec, que Yannick Desruisseaux et Gabriel Grenon ont eu l’étincelle qui les a conduits à bonifier la formation des pompiers. « J’étais l’officier responsable d’organiser des entraînements au sein de notre service incendie, mais nous avions de la difficulté à mettre en place des pratiques réalistes et complètes. L’utilisation de feu réel est de plus en plus limitée pour des questions de santé, de sécurité et d’environnement », explique Yannick Desruisseaux. Sa caserne disposait donc de peu de moyens pour se préparer à des bâtiments qui s’enflamment plus rapidement avec l’augmentation des matériaux synthétiques dans les meubles.
Les deux collègues, qui se découvrent la fibre entrepreneuriale, font appel à des développeurs québécois pour mettre au point un outil de réalité virtuelle améliorant l’entraînement. « L’activité de notre entreprise, Tactik 360, a débuté en 2018, mais nous avons passé beaucoup de temps en recherche et développement et en validation de marché. Puis, en 2020, la COVID-19 nous a empêchés de réaliser des démonstrations dans les services incendie », raconte Yannick Desruisseaux. La jeune pousse qu’il préside a lancé la commercialisation de ses simulateurs de manière structurée fin 2021.
Des défis au démarrage
Son premier produit s’appelle Officier 360, une plateforme permettant aux officiers responsables des interventions de simuler la gestion de ces dernières de manière réaliste et immersive. « Lorsqu’ils mettent notre casque de réalité virtuelle, ils se retrouvent devant le bâtiment en feu et peuvent se déplacer autour pour prendre connaissance de la situation. Ils doivent établir leur stratégie, communiquer avec la centrale pour déterminer si l’on a besoin de ressources supplémentaires, et diriger les pompiers », décrit Yannick Desruisseaux. L’incendie peut s’éteindre ou prendre de l’ampleur en fonction des décisions prises. « C’est une simulation complète alors qu’avant, nous nous entraînions en discutant entre officiers sur des photos ou des vidéos de bâtiments en feu. Notre outil permet de recréer le stress et les soucis que l’on peut avoir pendant l’intervention », souligne l’entrepreneur.
Les deux associés ont dû se montrer patients au démarrage de leur entreprise. « C’est un défi de faire accepter la réalité virtuelle aux pompiers, un milieu très conservateur qui combat les incendies de manière presque identique depuis 50 ans. Le fait que nous soyons nous-mêmes pompiers nous a beaucoup aidés », confie Yannick Desruisseaux. Ses trois premiers clients, les services d’incendie d’East Angus, en Estrie, ainsi que de Victoriaville et de Princeville, dans le Centre-du-Québec, ont donné à Tactik 360 les premières références qui ont ensuite fait boule de neige.
« Nous avons réalisé 18 ventes depuis un an et demi, ce qui représente près de 200 000 $. Il s’agit d’un début relativement modeste, car nous devons faire découvrir et apprivoiser cette nouvelle technologie à nos futurs clients », explique Yannick Desruisseaux. Ces ventes ont toutefois été majoritairement réalisées ces six derniers mois et l’entreprise prévoit une accélération de sa croissance en 2023, d’autant qu’elle projette d’élargir son marché cible.
Des casernes à l’industrie
Le duo d’entrepreneurs termine actuellement la mise au point d’un autre simulateur destiné aux opérateurs d’autopompes, les véhicules qui alimentent les pompiers en eau. Un autre outil en développement, l’Extincteur 360, formera en septembre les employés des entreprises au maniement des extincteurs portatifs. « Le processus de vente dans le secteur municipal est très long, c’est pourquoi nous visons également le domaine industriel en restant dans notre cœur de métier : l’intervention d’urgence », explique Yannick Desruisseaux, qui pense aussi aux milieux de l’armée et de la police. « Notre optique est de proposer une gamme d’outils variés pour améliorer la santé, la sécurité et l’efficacité des intervenants d’urgence », résume-t-il.
Cependant, le développement de nouveaux produits, sous-traité à des programmeurs, coûte cher. Les deux associés réfléchissent à leur structure de prix et élargissent leur gamme de produits prudemment pour ne pas s’y brûler. « Le financement est un lourd défi. Nous devons structurer notre développement en fonction de l’argent disponible », indique celui qui souhaite aller chercher une croissance plus rapide au-delà de la province. « Les normes [concernant les] incendie[s] sont les mêmes dans toute l’Amérique du Nord. Nous aimerions nous lancer en 2023 sur le marché anglophone », prévoit le pompier, toujours entre deux feux. En effet, en parallèle de son entreprise, il continue à éteindre les incendies à Kingsey Falls.