FOCUS RÉGIONAL CENTRE-DU-QUÉBEC. Bien que les entrepreneurs derrière la Grange pardue, l’une des rares fermes brassicoles au Québec, aient ouvert leur entreprise sous la forme d’une coopérative, ils n’ont rien à envier à ceux plus traditionnels : depuis 2019, l’entreprise a plus que doublé son chiffre d’affaires. Portrait de ce drôle d’oiseau dans le monde de l’entrepreneuriat.
Il fallait avoir les reins solides pour passer à travers la première année de production : à peine six mois après l’ouverture au public des portes de l’entreprise agrotouristique de Ham-Nord la Grange pardue, la pandémie frappe. L’équipe doit trouver un plan B. Plutôt que de vendre ses produits sur place, elle se tourne vers la distribution de ses bières dans les « épiceries, dépanneurs et boutiques spécialisées ». Elle fonde aussi un « bierclub » pour fidéliser la clientèle.
« On souhaitait créer un sentiment d’appartenance. Au départ, c’était vraiment pour nous donner un coup de pouce alors qu’on n’était même pas encore ouverts et qu’on commençait à se financer pour acheter une canneuse », indique Philippe Langlois, copropriétaire et membre de la coopérative, responsable service client et du salon de dégustation.
Croissance doublée depuis l’ouverture au public
Le pari est relevé haut la main : depuis 2019, l’entreprise a plus que doublé son chiffre d’affaires. La production est quant à elle passée de 80 000 litres de bières en 2020 à 120 000 litres l’an dernier. En 2022, ce sont plus de 70 000 personnes qui ont franchi les portes de l’établissement qui propose aussi bouffe de bistro et sentier d’interprétation de la ferme où l’on cultive orge et houblon.
Les projets de développement et d’automatisation se sont aussi multipliés. L’embouteillage en format 750 ml a rapidement été délaissé au profit d’une canneteuse automatique qui répond mieux à l’espace tablette du réseau de distribution. Malgré les fermetures répétitives engendrées par la pandémie, la Grange pardue « ne chôme pas ».
« On a créé un salon corporatif qui me permet d’accueillir des groupes. On a agrandi la terrasse pour passer de 8 à 28 tables extérieures de six personnes. Après ça, on a eu une opportunité avec Développement économique Canada (DEC) pour créer une salle trois saisons, une verrière avec cinq portes de garage qu’on ouvre et qu’on ferme en fonction de la météo », énumère Philippe Langlois, mentionnant l’achat d’un silo pour l’entreposage du grain, l’aménagement d’un jardin pour approvisionner la cuisine et l’ajout d’un brasseur automatique et d’un « fizz wizz » — une machine pour le contrôle du gazage.
Modèle RH original
La Grange pardue étant le projet de la Microbrasserie Le Chalumo, coop de travail brassicole enregistrée en vertu de la Loi sur les coopératives, toutes les décisions sont prises en équipe par les quatre membres-travailleurs. Le modèle de coop offre plusieurs avantages, fait valoir Philippe Langlois, membre fondateur de l’entreprise établie sur la ferme familiale de son ami d’enfance, Stéphane Turcotte.
« L’avantage le plus notable, c’est par rapport au défi des ressources humaines. Attirer des employés de qualité en campagne avec des conditions intéressantes, ce n’est pas évident pour une jeune entreprise. Quand l’employé a la possibilité de devenir membre de la coop, qu’il va participer aux bénéfices et au processus de décisions, on vient valoriser le travail de notre personnel », illustre Philippe Langlois.
L’entreprise accorde d’ailleurs une importance particulière à chouchouter ses employés afin de réduire le taux de roulement, tout de même important en raison de l’aspect saisonnier du travail, qui fait passer le nombre d’employés à temps partiel d’une douzaine l’hiver à une trentaine l’été.
« Si on parle d’avantages plus pécuniaires, on a déjà une échelle salariale avec des augmentations prédéterminées — 1,50 $ de l’heure les cinq premières années et 1,00 $ les trois suivantes. On a aussi des bonus de performance qu’on verse aux employés à temps plein. [Nos employés bénéficient aussi de] congés mobiles, congés maladie. Au lieu d’avoir une assurance collective, on [accorde aux employés] 500 $ par année pour n’importe quelle dépense liée à la santé et 200 $ pour n’importe quelle dépense liée à la culture ou aux sports », indique Philippe Langlois.
Des idées plein la tête
Ce ne sont pas les idées qui manquent pour la suite de l’aventure : agrandissement de la cuisine, augmentation de la capacité de production de bières, augmentation des superficies de cultures maraîchères, de pommes et de petits fruits, création d’hébergements, mise en valeur de l’érablière de 7000 entailles à disposition, énumère Philippe Langlois.
« On avait un plan d’affaires sur trois ans et on a complètement défoncé toutes les prévisions. Donc en ce moment même, on est en train de travailler sur notre plan de développement stratégique 2024-2030. On fait un beau processus avec les employés en interne et des gens à l’externe pour justement faire du ménage dans nos idées, prioriser, ne pas se perdre en cours de route. »