Sherry Cooper n'est pas passée inaperçue à Bay Street où elle a été une pionnière dans un milieu presque exclusivement masculin. En entrevue à Toronto, l'ancienne économiste de la Banque de Montréal (BMO) discute de ses 35 ans de carrière tandis qu'elle prépare la deuxième étape de son parcours professionnel.
Comme bien des femmes qui approchent du plafond de verre, Sherry Cooper a dû accepter d'être le centre de l'attention. En 1983, quand la jeune Américaine déménage dans la Ville reine pour travailler chez le courtier Burns Fry (acheté en 1994 par la BMO), elle est l'une des seules femmes économistes à travailler sur Bay Street. «Il n'y avait aucun doute que j'allais attirer l'attention», raconte-t-elle dans le bureau de son luxueux appartement à proximité du centre-ville de Toronto.
Mme Cooper a très vite accepté la curiosité des collègues et des médias, ce qui lui a permis de promouvoir ses analyses, ses livres et ses conférences. Dans son bureau, des affiches promotionnelles de ses livres et des couvertures de magazines où elle pose fièrement décorent les murs. «Cette attention a aidé ma carrière, admet-elle. C'était un couteau à double tranchant. Si j'avais fait une erreur, ça aurait été terrible.»
La partie n'était pas facile pour autant. «C'était difficile de s'intégrer à "la gang de gars". Je n'aimais pas les mêmes choses qu'eux. Je n'allais pas jouer au hockey ou prendre un verre le soir après le travail. D'abord, je n'avais pas envie d'y aller ; ensuite, je n'y étais pas invitée ; et finalement, je devais m'occuper de ma jeune famille.»
Détentrice d'un doctorat en économie de l'université de Pittsburgh, Sherry Cooper a travaillé à la Réserve fédérale américaine (Fed) à la fin des années 1970. Elle était alors une proche collaboratrice de Paul Volcker, le gouverneur de la banque américaine à l'époque. L'institution s'attaquait alors à la «stagflation», caractérisée par une stagnation de l'économie et une forte inflation.
Cette expérience lui apprend qu'il y a un monde entre la théorie et la pratique. «Quand j'étais étudiante, les théories monétaristes, qui prônaient un contrôle stable de la croissance de la masse monétaire, étaient très en vogue. Quand je suis arrivée en poste, j'ai constaté que non seulement la Fed ne contrôlait pas cette masse, mais qu'elle ne pouvait pas bien la mesurer.»
En 1983, elle est recrutée par Burns Fry et déménage à Toronto. Elle grimpe les échelons jusqu'à devenir économiste en chef de la BMO, en 2006. C'est à ce poste qu'elle a vécu la crise financière de 2008. «Si j'avais été étudiante, j'aurais adoré être témoin de ça, dit-elle. En tant qu'adulte, c'était une épreuve pénible. J'avais peur pour mon emploi et mes investissements. J'ai des collègues qui ont perdu leur emploi, même s'ils faisaient un travail exemplaire.»
La période a d'ailleurs été particulièrement stressante tandis que tout un chacun cherchait une réponse à l'inimaginable. «La valeur ajoutée d'un économiste, c'est d'anticiper les tendances, croit-elle. Nous sommes peu efficaces pour prédire le moment où les changements arriveront et à quelle vitesse ils surviendront.»
Le huard, sa bête noire
Quel a été l'élément le plus difficile à prévoir ? Mme Cooper, qui devait commenter quotidiennement une série de données et d'événements en tant qu'économiste en chef, admet que le dollar canadien a été sa bête noire. Lorsqu'on lui rappelle qu'elle a défendu l'idée que le Canada gagnerait à adopter le dollar américain au moment où il était à un creux de 0,60 $ US, elle sourit, comme si elle se rappelait une inoffensive folie de jeunesse. «Je n'aurai pas pu prédire que le Canada serait aussi rapide à rétablir sa situation fiscale», explique-t-elle.
«Retraitée» de la BMO depuis un an, Mme Cooper, 63 ans, entame une autre étape de sa carrière en tant que consultante. Elle suit également une formation à la Rotman School of Management de l'Université de Toronto, en vue de devenir administratrice de société. Elle se sent maintenant plus libre de parler de sujets controversés comme l'exploitation des sables bitumineux. «Je m'inquiète pour l'économie canadienne, dit-elle. Nous sommes trop dépendants de nos échanges avec les Américains. De plus, en raison de l'essor du secteur énergétique aux États-Unis, les producteurs de sables bitumineux risquent de produire du pétrole dont personne ne voudra, si on ne réussit pas à l'exporter en Asie.»