Malgré des progrès considérables, les femmes qui travaillent à temps plein ont encore un revenu moyen qui correspond à 75 % de celui des hommes. Plus troublant encore, au bas de l'échelle, plus de 40 % des femmes qui n'ont pas terminé leurs études secondaires touchent un revenu d'emploi inférieur à 20 000 $. Créer sa propre entreprise, serait-ce une solution pour atteindre l'autonomie financière, autonomie qui permet aux femmes de faire de véritables choix de vie en fonction de leurs besoins ? Dans certains cas oui, mais cela prend du courage, une capacité à prendre des risques et du flair.
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J'ai rencontré quelques entrepreneures qui sont passées par Compagnie F, un programme solide d'aide au démarrage d'entreprises, subventionné par les gouvernements. Un coup de pouce essentiel pour ces aspirantes qui reçoivent des prestations d'assurance-emploi pendant leur formation.
À 34 ans, Dominique Therrien, comédienne de formation, chef de famille monoparentale, vivotait de son métier. Énergique et allumée, elle s'est rendu compte qu'elle avait des forces inutilisées : «Je me suis dit, je suis capable, je peux vendre». Avec son associée Rita Ricignuolo, Mme Therrien a fondé Les productions Frisket, un concept clés en main de spectacles de Noël destinés aux grandes entreprises, un créneau peu exploité il y a 14 ans.
À l'époque, raconte Dominique Therrien en riant, «on vendait notre spectacle au téléphone en chantonnant sur de la musique, car on n'avait pas encore de vidéoclips ! Il fallait être convaincantes !» Le dynamique duo en a arraché pendant cinq ans avant de pouvoir gagner sa vie correctement. Aujourd'hui, avec un chiffre d'affaires de 300 000 $ et une soixantaine de pigistes embauchés chaque année, Frisket est une réussite. Les deux comédiennes cherchent maintenant à commercialiser des produits dérivés.
Être femme a-t-il été un frein ou un atout ? Le rapport à l'argent est plus compliqué, croient-elles. Lors de leurs premiers contacts avec des clients, elles n'osaient pas dire le prix de leur spectacle. Elles avaient l'impression que c'était trop cher. Dans l'ensemble, elles estiment néanmoins que, dans le créneau du divertissement, le fait d'être deux femmes les a plutôt servies, car les clients les imaginaient facilement amuser des enfants et tout prendre en charge. «Tant mieux s'ils se sentent maternés !»
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Cela montre bien que les stéréotypes ont la vie dure, même en affaires ! Être entrepreneures et mères leur a aussi donné une flexibilité d'horaire qu'elles n'avaient pas comme comédiennes. Pour ce qui est de l'insécurité propre à leur statut, elles essaient de ne pas y penser : «On vit pour le moment présent. On fait tout nous-mêmes, on travaille fort, je suis aux oiseaux», conclut Dominique Therrien.
Dans le fin fond de l'île Bizard, à l'ouest de l'île de Montréal, j'ai retrouvé Sylvia Meriles, une agronome originaire de Bolivie qui désherbait son lopin d'un demi-hectare, situé dans un incubateur d'entreprises.
Cette jeune mère fait pousser depuis deux étés des légumes et des épices exotiques, comme de la menthe péruvienne, qu'elle vend directement aux restaurants. Elle a baptisé son entreprise Les Jardins épicés. Avant, elle occupait des emplois précaires, à 15 $ l'heure dans des serres. Malgré ses diplômes obtenus outre-mer, elle constatait que d'autres décrochaient des promotions avant elle. D'où son changement de cap. Son chiffre d'affaires la première année : 10 000 $. Heureusement, dit-elle, que son mari est salarié, car il fait vivre la famille, quoique très modestement. On est donc bien loin de l'autonomie financière, mais Sylvia Meriles est patiente. Elle compte doubler son chiffre d'affaires cette année, acheter une serre pour prolonger sa saison. Elle rêve de posséder sa terre. Le travail est dur, mais avec le sourire, elle explique qu'elle peut s'occuper davantage de ses deux enfants, parce qu'elle est maîtresse de son temps.
Ces femmes qui cherchent à simplement gagner leur vie par l'entrepreneuriat n'ont pas de capital de départ et hésitent à s'endetter. Elles doivent donc être débrouillardes. C'est le cas de l'horticultrice Myriam Latour, qui se rappelle avec émotion d'où elle est partie : une jeunesse difficile, des périodes d'aide sociale, un grand manque d'estime de soi.
Il y a deux ans, elle a convaincu son employeur, une pépinière, d'adresser les clients intéressés par de l'aménagement paysager à son entreprise naissante, Point de Myr. Ce projet a permis à Mme Latour d'augmenter sa confiance en elle-même. Elle dessine des jardins, elle a appris à gérer de l'argent, en plus de son travail de salariée qui lui permet de joindre les deux bouts, ce qui signifie des semaines de 80 heures en saison. «Je voulais faire de la création, dit-elle. Toutes ces heures, c'est de l'investissement pour plus tard.»
Le taux de femmes entrepreneures a presque doublé depuis cinq ans. Plus de 10 % des Québécoises possèdent une entreprise. Combien réussissent ? On ne le sait pas. Si l'autonomie financière n'est pas assurée, la fierté de s'être prise en charge et le gain d'estime de soi semblent être de loin le plus grand bénéfice de l'entrepreneuriat pour les femmes.
Julie Miville-Dechêne est présidente du Conseil du statut de la femme.
Entreprendre au féminin
Dans cette grande série, qui paraît toutes les deux semaines, nous vous présentons le parcours d'entrepreneures de tous horizons, nous examinons des enjeux liés à l'entrepreneuriat féminin, et nous donnons la parole à de grandes personnalités féminines du milieu des affaires québécois.
Présenté par Desjardins, avec la collaboration de Femmessor, la Caisse de dépôt et placement du Québec et PwC.
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