On ne naît pas entrepreneur ni ne se déclare un jour entrepreneur. Ce sont les activités concrètes menées au quotidien qui nous font devenir entrepreneur. D'après nos pratiques d'accompagnement, la création d'une entreprise renvoie à un processus d'élaboration d'une identité entrepreneuriale.
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Comme Eleanor Hamilton, professeure en entrepreneuriat à l'Institut d'entrepreneuriat et de développement des affaires de l'École de gestion de l'Université de Lancaster, en Angleterre, l'a récemment montré, il est fondamental de se pencher sur les enjeux d'identité que pose la création d'entreprises aux entrepreneures. Ces dernières ont à composer dans leur parcours avec un ensemble de stéréotypes férocement enracinés qui définissent implicitement ce qu'est un entrepreneur.
L'entrepreneur est ainsi toujours défini à partir du mythe héroïque et hégémonique de l'homme d'une trentaine d'années, anciennement cadre et si possible innovateur. Dès lors, les femmes qui créent des entreprises font leurs expériences au regard de cette norme implicite. N'oublions pas qu'elles ont elles-mêmes été façonnées pour approcher leur réalité à partir de valeurs et comportements sexués.
Par exemple, il n'est pas rare d'entendre des entrepreneures qui ont dû faire face, dans leurs relations d'affaires ou leurs expériences d'accompagnement, à une association du type : «innovation technologique = homme» ; «activité de bien-être = femme». Les femmes qui créent des entreprises de couture, par exemple, confirmeront les stéréotypes, mais auront des difficultés à se reconnaître légitimes en tant qu'entrepreneures. Pour ce qui est des femmes qui créent dans les nanotechnologies, c'est cette fois l'environnement qui peinera à leur accorder une légitimité. Ainsi, les stéréotypes participent à la construction de l'identité. Une recherche a ainsi montré en Allemagne comment les femmes issues des minorités sont susceptibles d'avoir des difficultés à être reconnues légitimes en tant qu'entrepreneures dans la mesure où elles se heurtent quotidiennement à ce qu'est l'image optimiste du bon entrepreneur.
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Concevoir pas à pas son identité d'entrepreneure revient alors à développer des pratiques consistant à la fois à se jouer des stéréotypes, à tenter de les adopter et à les déconstruire, à l'occasion de ce qu'on peut appeler des épreuves identitaires.
Ces épreuves quotidiennes sont de tous ordres : il s'agit par exemple de participer à un concours de l'entrepreneur innovant, d'intégrer un réseau d'affaires, de demander un prêt auprès d'un organisme financier, de négocier avec un client... Chaque épreuve constitue une étape dans la formation de l'identité et plus encore dans l'affirmation du soi entrepreneurial.
Codes de réseaux d'affaires
Lorsqu'elles affrontent ces épreuves, les femmes entrepreneures se constituent un répertoire de pratiques. Certaines pratiques consistent à répondre aux attentes de l'environnement en «mimant» les représentations entrepreneuriales auxquelles les femmes se heurtent, ce qui peut générer de lourds inconforts. Ainsi, elles devront notamment acquérir une culture des codes de réseaux d'affaires, lesquels sont très largement masculins. Le cas de la négociation commerciale met aussi bien en évidence les arrangements des entrepreneures. Dans une de nos recherches, elles ont confié leur réticence à satisfaire à cette étape de la commercialisation qui les met face notamment à la représentation qu'elles ont d'elles-mêmes. La négociation invite à entrer dans un «jeu de séduction» et un «esprit de conquête» vis-à-vis des clients, deux dimensions masculines. En somme, selon elles, satisfaire à ces obligations commerciales les oblige à adopter un rôle ambigu et à travailler sur leur identité de femmes et d'entrepreneures.
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Petites luttes quotidiennes
D'autres pratiques de résistance constitueront de véritables remises en cause des clichés. Rien à voir avec l'héroïsme de l'Entrepreneur ! De simples petites luttes quotidiennes. Pensons à Gabrielle «Coco» Chanel qui a révolutionné l'industrie de la mode en refusant les conventions. Plus près de nous, ne peut-on considérer l'improbable réussite de Caroline Néron comme le plus grand pied de nez aux clichés entrepreneuriaux !
Au total, la diversité et l'accumulation de ces pratiques contribuent à l'émancipation des clichés et des représentations masculines de l'entrepreneur. Ainsi, les entrepreneures apprendront à adopter un positionnement juste vis-à-vis des parties prenantes. Ou bien à revoir leur représentation de l'argent, mais aussi à se faire confiance et à se sentir légitimes. Elles apprendront à s'accepter comme «femme d'affaires», et surtout à déployer leurs propres valeurs et perceptions de ce qu'est la réussite.
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Entreprendre au féminin
Dans cette grande série, qui paraît toutes les deux semaines, nous vous présentons le parcours d'entrepreneures de tous horizons, nous examinons des enjeux liés à l'entrepreneuriat féminin, et nous donnons la parole à de grandes personnalités féminines du milieu des affaires québécois.
Présenté par Desjardins, avec la collaboration de Femmessor, la Caisse de dépôt et placement du Québec et PwC