ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS. De l’auto solo électrique au transport lourd, en passant par les véhicules récréatifs, les infrastructures de recharge, les services de mobilité et, bien entendu, la fameuse «filière batterie»: les opportunités d’affaires du secteur de l’électrification au Québec sont au moins aussi grandes… que les défis à relever.
Le programme Roulez vert connaît du succès, ayant contribué à mettre quelque 147 000 véhicules électriques ou hybrides sur les routes québécoises. «Pourtant, ce n’est peut-être pas la meilleure façon de réduire nos émissions de gaz à effets de serre (GES)», avance Martin Trépanier, directeur du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT).
Les GES, ce sont les grandes flottes de camions qui les émettent, fait-il valoir. Et il n’a pas tort.
L’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2019 montre en effet que les camions légers et les véhicules lourds contribuent à 68,8% des émissions «motorisées» du parc québécois. «Au CIRRELT, notre discours est de dire qu’il faut choisir nos cibles d’électrification, tout en misant sur les trois modes de décarbonisation, qui sont réduire [les émissions], transférer [vers des moyens de transport moins polluants] et améliorer [la technologie]», explique Martin Trépanier.
En fait, l’adoption de l’auto solo électrique n’est qu’une facette d’un vaste secteur des «transports électriques et intelligents». Au Québec seulement, ce dernier générait déjà en 2021 — selon des données compilées par le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) et l’organisme Propulsion Québec — un chiffre d’affaires de 3,3 milliards de dollars, provenant de 177 entreprises, employant 9308 travailleurs. Et compte tenu des nombreux engagements locaux et nationaux à atteindre la carboneutralité (le Québec et le Canada se donnent jusqu’en 2050 pour le faire), on peut s’attendre à ce que le mouvement s’accélère.
En contrepartie, chaque région du monde mène une compétition féroce pour sécuriser sa propre chaîne d’approvisionnement. «Les états se disent: je ne veux pas dépendre d’un autre pays pour telle ou telle ressource, explique Jean-François Béland, vice-président de Ressources Québec de Investissement Québec. Ça devient une question d’indépendance économique. Nous redécouvrons des éléments de géopolitique qui avaient un peu été oubliés avec la mondialisation.»
Le Québec, bien positionné
Dans la filière batterie, Jean-François Béland estime que le Québec se positionne «avantageusement». «Avec l’hydroélectricité, nous avons la chance d’avoir une énergie verte, note-t-il. Nous avons les ressources de base qui entrent dans la composition des batteries. Et surtout, nous nous sommes dotés d’une politique industrielle cohérente dans la filière batterie.» Le vice-président de Ressources Québec rappelle l’objectif du gouvernement qui est d’établir une filière «du minerai à la cellule». «L’assemblage des batteries n’est pas dans notre plan», précise-t-il. La fabrication de voitures non plus.
Dans une entrevue avec La Presse, en mars dernier, le ministre Pierre Fitzgibbon a dit vouloir «se concentrer sur où on peut gagner», et notamment sur la fabrication de véhicules commerciaux. Au-delà de cette volonté, on sent un marqué désir du Québec Inc. de participer à la révolution en cours, au côté d’entreprises établies comme Flow (bornes de recharge) et Nova Bus (autobus urbains), de nouveaux joueurs comme Taiga (motoneiges et motomarines) et Lion Électrique (autobus et camions) et des nombreuses jeunes pousses qui prennent d’assaut le marché.
Une route parsemée d’obstacles
L’engouement pour l’électrique est tangible, tant du côté des entreprises que des consommateurs. Quelques défis se dessinent toutefois à l’horizon, à commencer par la pénurie de main-d’œuvre. «Pour bâtir un écosystème fort, nous devons développer un bassin de talents de classe mondiale, fait valoir Simon Pillarella, directeur du financement et de la main d’ouvre de Propulsion Québec. Et pour y arriver, nous devons faire connaître les emplois de ce secteur.»
En ce qui concerne la commercialisation des véhicules, les manufacturiers doivent pour le moment convaincre leur clientèle de payer «plus cher» pour une autonomie moindre. Les entreprises, les municipalités et les différents lieux de villégiature devront mettre à niveau leurs infrastructures électriques tout en participant au développement d’un réseau de bornes de recharge. Dans le dossier de la filière batterie, des usines entières sont à construire.
Ces défis ne font pas peur à Jean-François Béland. «Mieux vaut rentrer en début de vague qu’au milieu ou à la fin, dit-il, optimiste. Le Québec est sur une lancée. Continuons de miser sur nos atouts et gardons le momentum.»