ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS. Dans le Plan pour une économie verte 2030, François Legault affiche de grandes ambitions pour l’électrification des transports. Il dit vouloir «faire rouler des autobus, des camions et des autos électriques dans toutes les régions». En pratique, on se rend compte que la transition du secteur «lourd» est un peu plus compliquée que celle de la voiture solo. Aperçu des défis qui attendent les entreprises propriétaires de flotte. Et des solutions qui s’offrent à elles.
Les chiffres, d’abord. Au début de l’année 2022, le parc de véhicules électriques immatriculés à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) dans la catégorie «institutionnel, professionnel ou commercial» comptait 2 436 camions légers (soit 0,6% de la flotte totale de ce type de véhicules), 194 autobus scolaires (1,7%), 62 autobus réguliers (0,7%) et sept camions ou tracteurs routiers (0,004%).
Nous sommes donc très loin des cibles établies par le gouvernement, qui veut électrifier 55% des autobus urbains et 65% des autobus scolaires d’ici 2030. C’est d’ailleurs pour atteindre cet objectif qu’il a finalement décidé, dès octobre 2021, d’obliger les exploitants à adopter l’électrique lors du renouvellement de leur flotte — une décision qui a suscité la grogne de plusieurs propriétaires d’autobus.
Jacques Renaud, directeur du Centre d’innovation en logistique et chaîne d’approvisionnement durable (CILCAD) à l’Université Laval, constate tout de même une évolution du marché en un an. «On est passés du prototype à la version commerciale, renseigne-t-il. Les gros fabricants ont toutes sortes de modèles qui sont prêts à être achetés et livrés.»
Les propriétaires de flotte sont par conséquent en train d’observer comment se comportent ces véhicules en fonction du climat ou du type de charge, explique le directeur. «Devront-ils planifier leurs tournées différemment, dans un rayon de 250 km? Décideront-ils de synchroniser la recharge de leur véhicule avec le moment où ils vont dîner ou lorsqu’ils s’arrêtent chez un client? Tout cela devra être regardé.»
La première vague d’acquisition de camions et de tracteurs routiers électriques est l’affaire des grandes entreprises. «Les indépendants surveillent ce qui se passe, note Jacques Renaud. Quand une entreprise possède trois ou quatre camions, elle ne peut pas se permettre d’avoir un véhicule à l’arrêt la moitié du temps.» C’est une réalité dont il faudra tenir compte, puisque 76% des entreprises québécoises exploitants des véhicules lourds possédaient de un à cinq camions, selon le Portrait statistique et économique — Le camionnage au Québec publié en 2018.
Vers une hybridation des solutions
Pour le moment, l’électrification ne peut répondre à tous les besoins de l’industrie. «Pour un long trajet comme Montréal-Toronto, ce n’est pas réaliste de se tourner vers une solution électrique», explique Louis Lamarche, fondateur de KM Impact. Les tracteurs routiers électriques ont une autonomie d’environ 250 km, et le réseau de recharge rapide est inexistant. «De plus, il faut savoir que l’attente est de plus d’un an pour acquérir un tel véhicule.»
Entre-temps, une entreprise de transport peut commencer à réduire son empreinte carbone en déployant des stratégies d’écoconduite, en améliorant l’aérodynamisme de ses camions, en optimisant ses trajets et en implantant un système de régulation de la pression des pneus. «On peut aller chercher des gains en efficacité de 5 à 10%», annonce Louis Lamarche. L’utilisation de camions légers électriques pour la livraison locale montre aussi beaucoup de potentiel.
Nécessaire mise à jour des infrastructures électriques
Les entreprises qui choisissent d’électrifier leur flotte rencontreront quelques défis logistiques. «Les tarifs hydroélectriques augmentent pendant les périodes de pointe, explique le dirigeant de KM Impact. L’entreprise devra mettre en place une stratégie pour recharger ses camions aux bons moments.» Quand les flottes électriques grossiront, ajoute Jacques Renaud, une mise à niveau des infrastructures électriques sera également nécessaire.
À terme, Louis Lamarche entrevoit la possibilité que de nouveaux modèles d’affaires se mettent en place. D’une part, certains locateurs commerciaux voudront probablement inclure des infrastructures de recharge dans leur bail. D’autre part, le développement d’un service de flotte «clé en main» point à l’horizon. «Il s’agit d’un EV-A-A-S [ndlr : « electric vehicle-as-a-service »], au sens où une entreprise paie les infrastructures, les bornes et les véhicules et les loue à un client, explique-t-il. Pour le client, cette dépense est considérée comme un coût d’opération et non comme un investissement en capital.» Voilà autant d’avenues auxquelles les propriétaires de flottes devront réfléchir.