DIVERSITÉ AU TRAVAIL. Béthanie Cloutier ne veut pas nécessairement porter l’étiquette de femme trans – elle est femme, et ingénieure. Spécialisée en génie structurel, elle œuvre dans son domaine depuis 1982. Pour elle, il n’y a pas de « recette magique » pour une transition réussie au travail, si ce n’est qu’il faut chercher à bien s’entourer.
En entrevue avec Les Affaires, Béthanie Cloutier raconte avoir toujours vécu un inconfort dans un monde qui voyait sa féminité comme une maladie. Cependant, au fil des ans, elle a vu plus de personnes trans prendre la parole en public. « [Dans les témoignages] de ces personnes qui se disaient prisonnières dans leurs corps, je me reconnaissais, » se rappelle-t-elle. Elle commence à vivre son identité trans en 2017, vers la fin de la cinquantaine.
Pendant plusieurs mois, elle était « Béthanie la fin de semaine, et [son ancien prénom] le reste de la semaine. » Elle s’est d’abord confiée à une collègue qui avait une sœur trans avant de rencontrer ses autres associés. « Ils étaient renversés, » relate celle qui exerce aujourd’hui un emploi de mentorat. Elle a dû répondre à de nombreuses questions de personnes cherchant à comprendre. « On pense que si tu es préoccupé par ta transition, tu pourrais moins bien performer au travail. Cela pourrait être le cas au début, mais [à la longue] souvent ça va mieux », dit-elle.
Béthanie Cloutier a par la suite entamé un traitement d’hormones et adopté une apparence plus féminine. Elle a écrit un texte sur sa transition, qu’elle a lu à des collègues avec le soutien d’une amie relationniste. Ses clients étaient informés de sa transition par courriel, et elle a commencé à se présenter « en Béthanie » aux colloques professionnels. « J’étais terrorisée au début… mais finalement j’ai eu beaucoup de soutien ! »
L’ancienne journaliste Chris Bergeron est vice-présidente, créativité inclusive à la firme de publicité Cossette. Elle a fait sa transition de genre en parallèle avec une transition professionnelle, et a magasiné les employeurs avant d’atterrir chez Cossette. Elle y a trouvé « une belle écoute » et des objectifs concrets qu’elle pouvait avancer.
Elle encourage les employeurs québécois à recruter davantage de personnes issues de la diversité, et de prendre en compte les inégalités systémiques qui freinent certaines d’entre elles ainsi que l’apport de leurs parcours. « Si on fait l’autruche par rapport à cela, on passe à côté de la richesse que ces personnes peuvent apporter. »
La valeur des alliés
Béthanie Cloutier souligne l’importance de chercher des alliés afin de s’épanouir. Or, il est possible de trouver des alliés en dehors du bureau. Des initiatives comme QueerTech (pour le secteur de la technologie), Indice F d’Inno-Centre (pour femmes entrepreneures, qu’elles soient cis ou trans) et le programme Matrices de Fierté au Travail visent à mettre les personnes avec des identités de genre marginalisées en contact avec des personnes — des conseillers, des mentors ou des pairs — qui vivent des défis similaires.
« Il y a clairement un manque de représentation de femmes en général et de femmes trans en entrepreneuriat, » dit Katerine Dutil-Bruneau, directrice de communications et marketing à Inno-Centre. Elle considère que lorsque les femmes et les entrepreneurs issus de la diversité de genre sont suffisamment bien soutenus, ils et elles apportent des visions uniques et utiles, surtout en termes de développement durable, d’engagement social et d’équilibre travail-vie, qui leur seront avantageux dans les prochaines années.
Matrices, piloté par Fierté au Travail, a commencé avec un déjeuner de réseautage entre des professionnels trans de Toronto en 2019. Avec la pandémie, le programme est passé au virtuel. Il l’est demeuré en raison du caractère « sans frontières » du format. « On a eu une participante du nord de la Saskatchewan, qui vivait à deux heures de route de la ville la plus proche. Les rencontres en virtuel sont la seule façon de la rejoindre, » relate la coordonnatrice du projet, Jade Pichette.
Lors des rencontres, un conférencier invité issu de la communauté trans ou non binaire parle de son expérience professionnelle. Ensuite, des salles de discussion virtuelles sont ouvertes. Bien que les rencontres semi-annuelles se déroulent en anglais, Jade Pichette prévoit de créer une salle pour les discussions en français et de planifier davantage de rencontres.
Pour elle, le réseautage entre personnes trans et non-binaires n’a pas de prix. « Voir des gens comme toi qui réussissent, et le faire dans un espace ou tu n’as pas à t’inquiéter de comment on perçoit ton identité — c’est une expérience très puissante. »