DIVERSITÉ AU TRAVAIL. Une vision et une politique EDI ne constituent pas une fin en soi, bien au contraire. Les efforts doivent se poursuivre sans relâche au sein des compagnies pour qu’elles puissent offrir un milieu bienveillant, inclusif, sécuritaire et tolérant aux groupes sous-représentés une fois recrutés au sein de l’entreprise. Par quoi ce travail en profondeur doit-il passer ?
Un langage approprié
Un travail d’introspection est nécessaire afin de réviser les termes employés et la manière de parler de (et à) ces groupes sous-représentés. « En premier lieu, on doit leur demander comment ils souhaitent être appelés », explique Blandine Emilien, professeure en gestion des ressources humaines à l’UQAM.
Emilie Laplante, avocate à la Société de transport de Montréal raconte que lorsqu’elle est entrée en poste, l’une de ses premières questions a été : « avez-vous dit que j’étais une femme trans ? ». La réponse a été claire de la part de l’employeur : « non, mais nous souhaitions en parler avec toi. Comment souhaites-tu procéder ? »
Une ouverture et une souplesse qu’Émilie salue. L’avocate a fait sa transition lorsqu’elle était en poste au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal et se remémore : « lorsque mon nom n’avait pas été encore changé, chaque fois qu’il y avait une nouvelle embauche, c’était comme un petit coming-out. » Sa supérieure, Barbara, faisait l’accueil de l’employé, et il était alors très clair qu’il y avait tolérance zéro. Un soutien déterminant et indéfectible qui lui a permis d’être enfin elle-même comme elle l’a signifié dans une publication sur LinkedIn. « Il y a quelques mois, j’ai fait un “coming-out” public comme étant une femme trans. Pendant des années, j’ai caché qui j’étais à ma conjointe, ma famille, mes amis, mes collègues… mais surtout à moi-même. Le jour où je suis devenue une meilleure avocate ou tout simplement une meilleure personne. »
Placer les premiers intéressés au cœur du dialogue est déterminant afin que les notions de supériorité et d’infériorité induites par certaines formulations ou appellations disparaissent — selon Blandine Emilien. Des phrases telles que : « je ne sais pas si cette personne va s’entendre avec le reste de la compagnie, elle est vraiment différente… » doivent être proscrites.
Adaptabilité et écoute
Pour Chris Bergeron, vice-présidente créativité inclusive chez Cossette, l’adaptabilité est l’un des nerfs de la guerre. Il faut envoyer le signal que l’entreprise est vraiment ouverte sur le terrain. Pour les personnes trans, des gestes symboliques et très forts seront par exemple des toilettes non genrées ou des services d’assurance adaptés.
Autre point déterminant, être à l’écoute et donc avoir la possibilité d’être écouté. « Les traitements quand on opère notre transition sont très éprouvants et fatigants », confie Chris Bergeron. « Pouvoir dire “j’ai une petite fatigue” — et savoir qu’on ne va pas remettre en question ma productivité ! ».
Comme dans un mariage, pour le meilleur et pour le pire, sentir qu’il n’y aura pas de prix à payer pour être soi-même, c’est un questionnement qui revient très souvent chez les personnes trans selon Chris Bergeron.
De nombreux défis et des outils adaptés
Il faut avant toute chose (re) bâtir un climat de confiance avec ces personnes sous-représentées qui ont été marginalisées. Ce n’est pas le tout d’embaucher, il faut ensuite les suivre et favoriser leur promotion au sein de l’entreprise. Pour Blandine Emilien, il faut nommer et saluer ce qui a été accompli, parfois différemment et tout aussi efficacement — et en tirer les leçons.
Cela passe par la communication, selon Chris Bergeron. Il est nécessaire de créer des espaces et des groupes ressources qui permettent à ces personnes de communiquer sans avoir peur. Il est important aussi de lancer des plateformes qui permettent à chacun de raconter son histoire et d’être visible au sein de l’entreprise, à travers sa culture notamment.
Chiffrer oui, mais chiffrer quoi ?
« Ce n’est pas en embauchant deux personnes racisées de plus dans un département que l’on va régler le problème du racisme systémique. Il y a un travail de chiffres, mais il y a aussi un travail de suivi et d’éducation à faire ! », explique Blandine Emilien qui souhaite qu’on dise d’elle qu’elle est une femme racisée. Les chiffres que le département des ressources humaines devraient comptabiliser sont les bonnes initiatives et les bons coups des employés. S’intéresser à combien de personnes de ces groupes sous-représentés ont bénéficié de formation linguistique ? Combien de réorganisations de travail avons-nous fait pour inclure une personne en situation de handicap ? A-t-on créé plus de collaborations ? Plus de cohésion ? Pour l’instant ces chiffres n’existent pas ou peu, regrette-t-elle.
« On embauche plus de groupes sous-représentés, puis on leur demande de faire comme “nous”. Plutôt que de dire : comment se rejoindre à mi-chemin ? »