DOSSIER PROFESSION COMPTABLE - Les nouveaux outils technologiques promettent de révolutionner les façons de fonctionner des entreprises et le monde de la comptabilité. Les changements sont déjà en branle. Les nouvelles technologies présentent-elles un risque ou une occasion ? La question n'est pas banale. Une étude réalisée par des chercheurs de l'Université Oxford, en 2013, concluait que le travail de comptable et d'auditeur avait une probabilité de 94 % d'être automatisé.
Geneviève Mottard, présidente et chef de la direction de l'Ordre des CPA du Québec, reconnaît que des applications ou des robots dotés d'intelligence artificielle risquent de remplacer certains emplois, notamment ceux qui touchent à la tenue de livres ou aux déclarations d'impôts. Néanmoins, beaucoup d'occasions s'ouvrent en même temps à la profession.
Emilio B. Imbriglio, président et chef de la direction de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), voit le changement d'un bon oeil. «Les comptables seront débarrassés des tâches qui tiennent du labeur de la compilation de chiffres, dit-il. Ils pourront donc se concentrer sur les tâches à plus haute valeur ajoutée, comme l'interprétation des chiffres, l'accompagnement et le conseil.» Cette tendance se dessine depuis longtemps : il y a 15 ans, 25 % des revenus de RCGT provenaient des services-conseils, alors que cette proportion dépasse aujourd'hui les 50 %.
Le cabinet vient d'ailleurs de lancer une gamme de services numériques. Parmi ceux-ci on trouve IMPO, un service en ligne de préparation de déclaration d'impôts personnels lancé en avril dernier. Le cabinet comptable a également lancé OPERIO en mai dernier, une filiale spécialisée entre autres dans la comptabilité électronique pour les PME, qui compte déjà des centaines de clients. Le 12 juillet dernier, RCGT s'est associée à trois jeunes entrepreneurs pour fonder Catallaxy, un centre d'expertise sur les chaînes de blocs (blockchain) basé à Montréal.
Les nouvelles technologies prennent leur place rapidement. Ces trois nouveaux services, ainsi que la filiale de conseil gouvernemental RCGT Consulting et le service automatisé lié à l'insolvabilité consommateur, ont tous été lancés il y a moins de cinq ans, mais représentent déjà 12 % des revenus de RCGT.
Les changements technologiques poussent également les cabinets comptables à réorganiser leur gouvernance. Il y a un peu plus d'un an, RCGT a accueilli LP Maurice sur son conseil des associés. L'expérience de celui-ci dans le domaine technologique, notamment chez LinkedIn et Yahoo, mais aussi via sa propre start-up, Busbud, est donc précieuse. Quand le cabinet a des décisions technologiques à prendre, il lui demande donc de regarder le dossier d'affaires. LP Maurice est aussi appelé à rencontrer et à évaluer des candidats pour certains postes.
«Quand j'ai proposé sa candidature, il a été endossé par le comité de gestion et l'ancien conseil des associés en moins de dix minutes. On est les premiers au Québec, et sûrement au pays, à nommer quelqu'un de si jeune, et de l'externe, au conseil des associés», dit Emilio B. Imbriglio. Ce dernier estime que les conseils «extraordinaires» de LP Maurice permettront à son cabinet de mieux affronter les défis de l'avenir.
Gestion du changement
Les attentes et les façons de faire des entreprises changent. De plus en plus d'entre elles désirent pousser l'analyse de leurs données et se servent d'outils analytiques puissants, comme l'application Power BI, lancée en 2014. Par conséquent, les comptables seront donc souvent eux-mêmes appelés à changer leurs façons de faire.
Jean-Philippe Tassé-Trottier, le président des Jeunes CPA de Montréal et analyste financier chez Logibec, reconnaît que l'introduction d'une nouvelle technologie peut être difficile pour le moral de certains professionnels.«Un jeune qui arrive sur le marché du travail et qui comprend bien les nouveaux outils pourrait faire de l'ombre à un autre comptable qui n'est pas encore aussi à l'aise, illustre-t-il. Pour cette raison, la formation en entreprise ou ailleurs devient essentielle.»
La compréhension de bases de données et des outils pour les analyser est donc pour le moment un atout important pour les jeunes comptables qui désirent travailler en entreprise. Toutefois, dans un avenir rapproché, leur maîtrise deviendra essentielle, surtout pour ceux qui désirent progresser dans leur carrière. «Un directeur des finances qui ne connaît pas les outils qui sont utilisés pour gérer les chiffres, ce serait comme un gestionnaire des opérations qui ne connaît pas ses machines ou le cycle de production. Il ne pourra jamais rien remettre en question ou améliorer la situation», explique M. Tassé-Trottier.
Pour sa part, il s'inquiète peu de voir la technologie faire disparaître la profession comptable. Selon lui, les entreprises qui utiliseront le numérique pour supprimer des postes, plutôt que de réaffecter leurs professionnels à des tâches à haute valeur ajoutée, se retrouveront dans une situation similaire à celle de Phénix, le système de paie fédéral. Celui-ci avait été mis en place pour supprimer des ressources, mais connaît actuellement d'importants problèmes, rappelle M. Tassé-Trottier. «On prendra des années à le remettre sur pied. Je préfère voir la technologie comme une occasion.»