CONSTRUCTION. Si les Pomerleau de ce monde adoptent rapidement les nouvelles technologies, la partie semble toutefois loin d’être gagnée pour les petits entrepreneurs, qui peinent à faire le saut. Témoignages, outils et stratégies d’experts pour les guider dans ce passage obligé.
Le directeur général de Toitures JLP Bélanger a entraîné une minirévolution à son arrivée dans l’entreprise, il y a six ans. « À l’époque, tout se faisait encore sur papier », se rappelle Yannick Dulude. Ce dernier a procédé à une analyse des besoins et a fait le tour des solutions possibles avant d’arrêter son choix sur un logiciel de gestion.
L’entrepreneur constate que ce nouveau procédé lui a fait économiser du temps, de l’argent et des ressources. « Faire les paies prenait auparavant une journée et demie pour une douzaine d’employés. Maintenant, avec 35 travailleurs, ça ne prend qu’une demi-journée », illustre-t-il. Le suivi des projets se révèle également plus facile.
Malgré une certaine résistance au changement, la transition s’est déroulée sans heurts. L’entreprise a toutefois navigué seule, sans aucune aide extérieure.
Un retard à rattraper
L’expérience de Toitures JLP Bélanger n’est pas unique. De nombreuses entreprises ne savent pas vers qui se tourner pour amorcer cette transformation inévitable. « Il ne faut pas oublier que 85 % des entreprises en construction comptent cinq employés ou moins, souligne Guillaume Houle, responsable des affaires publiques et porte-parole de l’Association de la construction du Québec (ACQ). Quand on tient le marteau et qu’on gère aussi une compagnie, on n’a pas le temps d’établir un plan d’action. »
Ce dernier estime également que le manque de bénéfices clairs et l’investissement requis freinent les ardeurs de plusieurs joueurs de seconde zone.
Pour le directeur de l’Initiative québécoise pour la construction 4.0, le retard de la construction en la matière s’explique aisément. « La dynamique de l’industrie est différente, relate Charbel Khoury. Il y a moins de standardisation. Le secteur est aussi tellement en demande que les plus petites entreprises sont débordées. Elles ne peuvent pas s’arrêter pour élaborer une vision à long terme. »
Le Groupe BIM du Québec, qui soutient la transition numérique en construction, fait les mêmes constats. « Sept fois sur dix, on doit faire passer les entreprises du papier au numérique », note le directeur général Martin Lafleur.
Des solutions possibles
Les constructeurs dépassés par l’idée de revoir leurs méthodes peuvent compter sur plusieurs programmes d’aide. Ils disposent par exemple du diagnostic de l’IQC 4.0, qui analyse le degré de maturité numérique d’une entreprise. « Ça permet d’avoir en main un plan stratégique pour la transformation numérique. À partir de là, la compagnie peut passer à l’action », explique Charbel Khoury.
Les experts de l’IQC 4.0 ont effectué près de 500 diagnostics jusqu’à présent. La démarche, qui s’étale sur deux ou trois mois, est gratuite. L’organisme propose ensuite un volet de formation et d’accompagnement pour ceux qui ont déjà réalisé la première étape.
L’Institut de gouvernance numérique offre également un diagnostic qui s’adresse principalement à ceux qui veulent optimiser leurs processus sans nécessairement adopter le BIM.
« L’ACQ a réuni les 17 auditeurs pour avoir une vision globale de la réalité des plus petites entreprises. L’objectif de ce projet en cours est de donner les formations requises pour combler l’écart de compétence en la matière », précise le directeur des Services corporatifs de l’association, Joseph Faye. Afin de stimuler l’innovation dans le secteur de la construction, l’ACQ collabore aussi depuis le printemps dernier avec la Factry pour offrir une nouvelle formation en leadership créatif.
L’APCHQ propose pour sa part quelques webinaires par année afin de se familiariser avec les dernières technologies ou les nouvelles façons de faire.
Un pas à la fois
En pleine pandémie, l’entrepreneur général Solutions résidentielles a négocié sa transition numérique. « On désirait s’améliorer et ça nous prenait de nouveaux outils pour rencontrer nos clients à distance », raconte le propriétaire Michel Leblanc.
La petite équipe de 15 employés a commencé par développer un serveur dans le nuage et par fournir une tablette aux contremaîtres. « On a accès à tous les dossiers, des échéanciers aux plans. On peut ainsi collaborer, autant au bureau que sur le chantier, et être plus efficaces. »
L’entreprise a aussi suivi le programme de diagnostic de l’IGN. « Ça nous a permis de faire le point et de cibler nos actions. »
L’entrepreneur conseille aux autres dirigeants d’entreprise qui souhaitent prendre le virage numérique d’y aller un pas à la fois. « On ne peut pas changer toutes ses procédures en même temps. » Yannick Dulude croit également qu’il faut arrêter d’hésiter. « Il ne faut pas attendre de trouver la solution parfaite, il faut plutôt en choisir une qui comble le plus nos besoins. Après, on peut s’adapter. » Le message est lancé.