Pas plus tard qu’au mois de mai l’année dernière, Sam Bankman-Fried était considéré un peu comme un héros. Mais au début de novembre 2022, celui qui apparaissait comme le roi de la cryptomonnaie fut détrôné.
La première fois que les gens ont entendu parler de problèmes à FTX, la bourse des cryptomonnaies fondée et dirigée par M. Bankman-Fried, ce fut sur Twitter le 8 novembre, où il publia des déclarations apparemment rassurantes à l’intention des investisseurs inquiets, dirigeant leur attention sur une prise de contrôle par la plateforme rivale Binance.
Mais en quelques heures, même ce plan est tombé en miettes. Binance s’est rapidement retiré de cet accord, et alors que la solvabilité de FTX s’effilochait, M. Bankman-Fried a déclaré ne pas avoir de fonds suffisants pour répondre à une demande de retraits insurmontable.
Devant désormais en accepter les conséquences, M. Bankman-Fried a suivi le conseil lui recommandant de déclarer faillite aux États-Unis, décision qu’il a dit regretter dans un entretien nocturne explosif avec un journaliste par message direct.
D’autres déclarations effectuées le 17 novembre par John Ray III, l’avocat de recouvrement chargé de faire le tri du passif de FTX pour recouvrer les économies de ses clients, ont introduit des doutes sur la manière dont FTX était gérée, ainsi que sur les relations qu’elle entretenait avec Alameda Research, la société de courtage quantitatif de cryptomonnaies fondée par M. Bankman-Fried en 2017.
Au cœur de toute cette affaire, il y a la question de la gouvernance. FTX avait-elle été bien gérée, et y a-t-il eu des malversations dans la manière dont les fonds des consommateurs ont été utilisés? De plus, M. Bankam-Fried s’est-il rendu coupable de ce désastre? Un procès criminel va maintenant déterminer les réponses à ces questions, mais entre-temps, voici notre sommaire des problèmes de gouvernance qui seront débattus dans la salle d’audience.
Commençons par les accusations criminelles.
La fraude informatique
Parmi les plus importantes charges criminelles retenues à l’encontre de M. Bankman-Fried par le ministère de la Justice, il y celle de fraude informatique. Une fraude informatique se manifeste par une activité frauduleuse perpétrée sur une plateforme électronique. Il s’agira par exemple d’une escroquerie par hameçonnage ou par télémarketing ou d’un vol d’identité numérique. Dans ce cas, toutefois, il a été allégué que M. Bankman-Fried avait sciemment détourné d’énormes sommes d’argent appartenant aux clients au bénéfice d’Alameda Research pendant plusieurs années. Certains rapports suggèrent même que le système de codification interne de FTX aurait été modifié pour faciliter cette opération. Pour que M. Bankman-Fried soit déclaré coupable, il faut qu’un tribunal reconnaisse que «l’accusé a volontairement et intentionnellement conçu ou participé à un plan destiné à soutirer frauduleusement de l’argent à autrui», et que «l’accusé l’a fait dans une intention malhonnête». Il faut aussi que ce tribunal prouve que M. Bankman-Fried pouvait «raisonnablement prévoir» qu’une communication électronique serait utilisée dans le processus.
La fraude boursière
M. Bankman-Fried est aussi accusé de fraude boursière, c’est-à-dire de falsification des informations utilisées par les investisseurs pour prendre des décisions. C’est une accusation très sérieuse. FTX a pour bailleurs de fonds certaines grosses pointures qui ont perdu beaucoup d’argent. Selon la commission des valeurs mobilières américaine (Securities and Exchange Commission, ou SEC), depuis «au moins le mois de mai 2019», FTX a collecté plus de 1,8 milliard de dollars auprès d’investisseurs en actions. «Dans ses déclarations aux investisseurs, M. Bankman-Fried vantait les mérites de FTX comme une plateforme d’échange de cryptomonnaies sûre et responsable, insistant particulièrement sur les mesures technologiquement avancées et automatisées qu’appliquait FTX pour protéger les actifs de ses clients», indique la SEC. Le tribunal doit maintenant déterminer si M. Bankman-Fried a menti pour procurer à FTX un soutien financier.
Le blanchiment d’argent
Il n’échappera à personne que cette affaire met en jeu des sommes d’argent colossales, mais que la totalité de ces sommes n’était pas placée dans les cryptomonnaies ou d’autres investissements. Il est allégué qu’une partie de l’argent que FTX est accusée de détourner a été «blanchie». Pour commencer, M. Bankman-Fried a été lié à un portefeuille de propriétés immobilières comprenant jusqu’à 19 résidences différentes qui s’élève à des centaines de millions de dollars, avec entre autres des appartements de luxe utilisés comme résidences pour le personnel de FTX. Une propriété séparée, d’une valeur de 16,4 millions de dollars, est au nom des parents de M. Bankman-Fried. Un tribunal doit maintenant déterminer si des fonds présumés détournés ont été utilisés pour financer le portefeuille.
Et plus largement…
À part les accusations criminelles, l’effondrement de FTX soulève des questions sur la gestion au jour le jour des plateformes d’échange opérant en contact direct avec le consommateur. Voici certaines des questions que cette affaire a soulevées.
La base
Quelques jours seulement après qu’il a pris les rênes de FTX, les langues sont allées bon train lorsque le PDG John Ray III a dévoilé les premières découvertes qu’il avait faites de l’intérieur, et cela n’annonçait rien de bon. «Jamais dans ma carrière je n’avais vu une faillite aussi totale des mécanismes de contrôle d’une entreprise et une telle absence d’informations financières fiables, a dit M. Ray. Que ce soit la corruption de l’intégrité des systèmes et une surveillance défaillante de l’observation des règlements à l’étranger ou la concentration du contrôle entre les mains d’un petit nombre d’individus inexpérimentés, frustes et potentiellement corrompus, cette situation est sans précédent.»
Certaines des lacunes constatées par M. Ray sont par exemple l’absence de réunions officielles du conseil d’administration, l’absence de listes officielles de comptes bancaires et de signataires, et l’absence de documentation justifiant des transactions cruciales. Il y a de fortes chances que M. Ray présente davantage d’informations au cours du procès, et de fortes chances aussi qu’elles ne soient pas flatteuses.
La gérance
La gérance dénote la responsabilité qu’ont les sociétés de surveiller leurs opérations. On peut avoir affaire à un ordre du jour particulier, comme l’investissement dans le climat, mais dans le cas présent il est évident que la question fondamentale, c’est l’argent du client et qui en assurait la supervision. Pour ce qui est de FTX, les choses se sont sérieusement gâtées.
Il est intéressant de constater que c’est la deuxième fois en 12 mois que la gérance est d’actualité avec les cryptomonnaies. L’année dernière, l’effondrement de la plateforme crypto Celsius a montré aux investisseurs qu’ils devraient toujours lire les petits caractères dans les textes concernant les modalités qui régissent leurs comptes. Bien qu’il n’y ait en l’occurrence pas la moindre suggestion de fraude, les investisseurs devraient se rappeler que la question: «Mes actifs m’appartiennent-ils réellement quand je les confie à une plateforme?» peut secouer le monde des cryptomonnaies pendant encore quelque temps. L’affaire FTX a vraiment peu de chances de renforcer la confiance des investisseurs dans ce secteur.
Les conflits d’intérêts
Les conflits d’intérêts sont inévitables dans les affaires, et la façon dont ils sont gérés est donc une partie essentielle des responsabilités d’un conseil d’administration, quel qu’il soit. Il y en a plusieurs qui pourraient avoir contribué à l’implosion de FTX. Était-il convenable, à un moment ou à un autre, que M. Bankman-Fried fût si étroitement lié à deux sociétés évoluant dans des domaines comparables? Et quant à ses relations avec ses collègues, n’a-t-il jamais été compromis d’une façon qui l’empêchait d’agir de façon responsable?
À ce sujet, le procès se concentrera probablement sur sa liaison avec Caroline Ellison, co-PDG d’Almeda Research, et l’impact que cela a pu avoir sur la façon dont FTX et Alameda Research ont été gérées. M. Bankman-Fried, pour sa part, a reconnu l’existence d’un conflit d’intérêts. À la faveur d’un événement organisé par le New York Times l’année dernière, il a indiqué: «Beaucoup de choses que nous avons fini par faire et sur lesquelles nous nous sommes concentrés nous ont détournés d’un secteur incroyablement important dans lequel nous avons été totalement déficients: le risque, la gestion du risque, le risque de compromettre la position du client, et, franchement, le risque lié aux conflits d’intérêts.»
Le risque lié à la personne clé
Il y a tout de même un type de risque que M. Bankman-Fried n’a pas mentionné. Le risque lié à la personne clé émerge quand une organisation dépend trop du travail des individus. Ces individus peuvent être cruciaux pour les finances d’une organisation, ou lui fournir ses idées essentielles.
Dans ce cas, la partie plaignante a en face d’elle un individu dont la réputation n’était déjà plus à faire: M. Benkman-Fried était considéré comme la figure de proue d’un mouvement contestataire prônant l’investissement dans les cryptomonnaies, et son influence s’étendait bien au-delà de FTX. Toutefois, aucune entreprise ne peut survivre exclusivement par le tapage, et le degré auquel FTX dépendait de la réputation de M. Bankman-Fried — par opposition à des protocoles de gouvernance solides — sera donc vraisemblablement au centre des débats.
Les dons aux formations politiques
La relation entre la politique et les affaires a toujours été malaisée, mais l’affaire FTX en représente une étude de cas carabinée! Selon le magazine Time, M. Bankman-Fried est devenu rapidement un des plus gros bailleurs de fonds de l’histoire politique américaine, avec plus de 70 millions de dollars affectés à des campagnes politiques en l’espace d’environ 18 mois. Et selon Open Secrets, la fusion du Center for Responsive Politics et du National Institute on Money in Politics en une seule entité sans but lucratif a fait de M. Bankman-Fried le deuxième plus important donateur démocrate de tous les temps après George Soros.
Pour leur part, les démocrates n’ont pas été les seuls récipiendaires d’argent destiné à des campagnes politiques (M. Bankman-Fired a souligné ses dons aux primaires du parti républicain dans un Tweet le 5 novembre), mais il n’y a pas le moindre doute qu’un procès public pourrait être très embarrassant pour le parti démocrate et le président sortant.