Le commerce électronique est souvent associé aux produits culturels, financiers ou usagés. Cependant, des entreprises se tournent de plus en plus vers le web pour offrir leur marchandise haut de gamme. Portrait de trois compagnies qui vendent le luxe en ligne.
De plus en plus de sites web offrent des produits dispendieux aux consommateurs plus fortunés. Pourtant, l’Internet est loin d’être un refuge traditionnel pour les grandes marques de luxe.
«Les entreprises de luxe aiment avoir plus de contrôle sur l’expérience d’achat», explique James Loveland, professeur adjoint en marketing spécialisé dans le luxe aux HEC. «Il faut aussi dire que l’Internet provoque une certaine pression à la baisse sur les prix, ce qui ne concorde pas avec les valeurs des compagnies de luxe non plus», ajoute-t-il.
Les avantages de se tourner vers le web pour une entreprise qui désire vendre des produits de luxe, surtout au Québec ou pour une jeune entreprise, sont toutefois évidents. Plus grand marché potentiel, flexibilité de l’inventaire, possibilité de rejoindre les jeunes : la liste des «pours» dépasse bien souvent la liste des «contres».
«Beaucoup de détaillants ne voient pas l’avantage d’être en ligne, mais pourtant, ceux-ci sautent aux yeux», estime Manon Arcand, professeure au département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
C’est le pari qu’ont pris la designer Marie Saint-Pierre, l’entreprise de vente de produits luxueux Beyond the Rack et le site de produits de rasage masculins Rituels.ca.
Maison Marie Saint-Pierre
La réputation de la designer québécoise Marie Saint-Pierre n’est plus à faire. Celle qui collectionne les prix et les accolades depuis plus de 25 ans a toutefois lancé son site transactionnel il y a un an à peine.
«C’était presqu’un rêve pour moi de lancer un tel site», confie d’emblée la designer qui se qualifie de fervente utilisatrice des technologies. «Tout ce qui peut me faire gagner du temps est important dans ma vie, et un site transactionnel répond exactement à ce besoin».
Les clientes de Marie Saint-Pierre utilisent son nouveau site de différentes façons.
«Un site web transactionnel permet à nos clientes d’explorer nos produits dans le confort de leur foyer», explique Marie Saint-Pierre. Les clientes peuvent alors prendre leur temps, et explorer les vêtements de la designer sous toutes leurs coutures.
«Lorsqu’elles arrivent en magasin pour les essayer par la suite, leur panier a déjà été préparé. C’est important, puisqu’elles n’ont pas énormément de temps à consacrer au magasinage», explique-t-elle.
Ce qui ne veut pas dire que l’expérience en magasin est diminuée pour autant. «C’est plutôt une question d’établir un dialogue avant même que la cliente entre dans la boutique. Cela permet de bonifier l’expérience, et même de lui préparer d’autres produits en fonction de ses goûts», juge Marie Saint-Pierre.
Un site web transactionnel est également un moyen d’accéder à de nouveaux marchés, même pour une marque établie.
«On ne peut pas être présents dans tous les endroits de la planète», explique la designer qui possède deux boutiques à Montréal, ainsi qu’un réseau de distribution nord-américain.
Plusieurs clientes importantes de Marie Saint-Pierre profiteraient déjà du site web d’un peu partout dans le monde.
Pour la designer, même s’il est encore trop tôt pour chiffrer ses ventes en ligne, un site comme le sien est carrément devenu un incontournable. «Les clients vont encore dans les magasins pour valider leurs choix, mais de plus en plus, la recherche se passe d’abord sur le web», médite-t-elle.
«Avant, les créateurs étaient reconnus lorsqu’ils étaient dans les grands magasins. Désormais, ce sera leur rang dans le moteur de recherche Google qui sera plus important!»
Beyond the Rack
Beyond the Rack est un véritable success-story du web québécois. D’une poignée d’employés et de 6 millions $ de ventes à son lancement en 2009, le détaillant de produits de luxe embauche aujourd’hui plus de 400 personnes et se dirige vers des revenus annuels dépassant les 200 millions $. Le tout, sans aucune boutique physique.
«Nous avons basé notre entreprise sur un modèle d’affaires qui était de plus en plus populaire en Europe et en Asie, les flash sales», se rappelle Yona Shtern, l’un des deux cofondateurs de l’entreprise.
Les sites de flash sales, ou de «ventes express», offrent des produits en rabais sur le web pour une durée limitée seulement. Contrairement à une boutique qui doit acheter son inventaire, Beyond the Rack est plutôt un marché, qui met en contact les marques et les consommateurs.
L’entreprise photographie les produits qu’elle compte offrir, et ce n’est qu’après qu’ils ont été vendus qu’elle les reçoit dans ses entrepôts pour les réacheminer vers les acheteurs.
Autre particularité, Beyond the Rack est un club privé, mais ouvert à tous, ce qui permet notamment à l’entreprise de mieux suivre ses clients et de cibler leurs envies.
«Un couple qui est membre du site ne recevra donc pas la même infolettre, illustre Yona Shtern. Nous proposons à chaque client des produits en fonction de ce qu’il a acheté ou consulté dans le passé.»
Le modèle d’affaires particulier de l’entreprise montréalaise permet également aux marques qui s’y affichent de conserver un certain prestige, ce qui est particulièrement important dans l’industrie du luxe. «Un produit est affiché pendant généralement 2 jours. C’est beaucoup mieux pour la marque que de se retrouver dans une grande surface pendant des mois et de finir à 9,99$», explique l’homme d’affaires.
Le prestige serait d’ailleurs constamment au cœur des préoccupations des compagnies avec lesquelles Beyond the Rack fait affaires. «Qui va être annoncé aux côtés de moi? est la question qu’on me pose le plus souvent», confie l’entrepreneur.
Est-ce que Beyond the Rack pourrait un jour lancer ses propres boutiques physiques? «Nous considérons offrir des points de service, ou un client pourrait par exemple recevoir ses achats», explique Yona Shtern. «Mais il ne faut pas s’attendre à ce que Beyond the Rack offre un jour de véritables boutiques», ajoute celui dont l’entreprise dessert déjà l’Amérique du Nord au complet de toute façon.
Rituels.ca
Les vêtements et les bijoux n’ont pas l’exclusivité du luxe. Des produits plus anodins, comme des rasoirs et des lotions pour hommes, peuvent aussi être considérés comme luxueux. C’est notamment le cas de ceux vendus dans la boutique virtuelle Rituels.ca, lancée il y a près de deux ans par Michael Carpentier.
«J’ai commencé à m’intéresser aux produits de rasage de luxe à cause d’un problème de peau» explique Michael Carpentier. «Puisque je ne trouvais aucun bon produit au Québec, j’ai compris qu’il y avait là une opportunité d’affaires intéressante.»
Rituels.ca a été créé en six mois seulement, le tout avec un «investissement minime», que le fondateur préfère ne pas chiffrer exactement. Il n’aura fallu à l’entreprise que six autres mois pour devenir profitable.
«Il faut dire que j’ai un avantage déloyal sur la compétition, puisque je m’y connais beaucoup dans le domaine», raconte en riant celui qui a fondé et qui dirige toujours Zengo, une agence de services conseils en affaires électroniques.
Pour Michael Carpentier, la décision de s’implanter sur le web s’est imposé rapidement. «Le coût pour lancer un site web était en fait moins élevé que le coût d’une simple étude de marché pour une boutique», illustre-t-il. «C’était aussi pour moi une occasion de mettre en pratique les conseils et théories que l’on offre à nos clients à l’agence.»
Sur Rituels.ca, absolument tout est analysé en profondeur: la façon de photographier les produits, de les décrire, de les annoncer sur les réseaux sociaux, etc. «Je teste tout cela rigoureusement. Je suis assez maniaque dans mes ajustements», avoue Michael Carpentier.
Selon ce dernier, sa présence sur le web lui permet aussi de rejoindre une clientèle potentielle beaucoup plus importante qu’avec une boutique physique, ce qui est primordial pour un produit aussi niché que le sien.
Et la formule semble fonctionner. Les ventes de Rituels.ca ont d'ailleurs triplé depuis le début de l'année par rapport à l'année précédente. Si la boutique virtuelle demeure un second emploi pour Michael Carpentier, celui-ci estime qu’il pourrait probablement en vivre assez rapidement s’il s’y consacrait à temps plein.
«Il y a beaucoup de potentiel, mais nous devons éduquer le public», ajoute l’entrepreneur, qui compte d’ailleurs profiter de la prochaine année pour organiser différents évènements afin de permettre à sa clientèle cible de découvrir ses produits en personne.