Lorsqu'on demande au dragon Alexandre Taillefer quels sont ses critères d'investissement lorsqu'il achète une oeuvre d'art, la réponse tombe immédiatement. «Je ne considère pas qu'acheter un tableau est un investissement financier. C'est plutôt une démarche qui nourrit mon âme et me rend plus ouvert.»
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Fils d'une artiste peintre, le grand patron de XPND Capital a commencé à collectionner les oeuvres d'art à 22 ans. Il compte aujourd'hui une collection de tableaux évaluée à quelques millions de dollars, mais insiste pour dire que sa démarche n'a rien de mercantile. «Je vois plutôt l'art comme une église. C'est quelque chose qui fait réfléchir sur la vie, la mort, l'environnement, où s'en va la société», explique celui qui est aussi président du conseil d'administration du Musée d'art contemporain de Montréal.
Mise en garde
Pour ceux qui veulent découvrir le marché de l'art et qui n'y pénètrent qu'avec des ambitions capitalistes, il lance une mise en garde.
«Ce n'est pas un marché facile. Il n'y a pas vraiment de marché secondaire comme à la Bourse où on peut facilement revendre une oeuvre, et peu d'artistes génèrent au final un marché de revente», explique-t-il.
Construire la réputation d'un artiste demande du temps, plusieurs années même, et ce n'est pas simple. L'artiste doit produire suffisamment pour que ses oeuvres deviennent prisées, mais pas trop pour éviter que l'offre n'en vienne à excéder la demande.
Cela dit, si tout fonctionne bien, les rendements peuvent être intéressants. Il faut cependant être patient. «Ce n'est pas comme à la Bourse. On ne peut pas espérer faire 20 % demain matin. Il est préférable de fonder son horizon d'appréciation sur 10 ans. Un Marc Séguin acheté il y a 10 ans a doublé de valeur, ce qui représente au final un rendement annuel de 8 %», illustre Alain Lacoursière, un ancien enquêteur de police aujourd'hui spécialiste de l'art.
M. Lacoursière parle lui aussi d'une prudence nécessaire. Il croit de plus que beaucoup de gens s'intéressent à l'art sans trop y réfléchir et laissent des rendements potentiels sur la table. «Il y a des gens qui vont payer d'assez bons montants pour des laminés Ikea. Rien n'est garanti, mais il y a sur le marché des artistes qui pourraient vous offrir des oeuvres intéressantes pour pas nécessairement beaucoup plus cher, et ces oeuvres pourraient aussi générer un rendement», explique-t-il.
Comment choisir une oeuvre ?
Que devrait faire celui qui veut s'ouvrir à l'art et y verser un peu de son pécule ?
«Les rendements les plus importants, on peut les obtenir en essayant de découvrir de futures vedettes, mais il est plus sage d'opter pour des valeurs plus sûres», dit Julie Lacroix, directrice de l'Association des galeries d'art contemporain, organisme qui tient la foire Papier15, à Montréal, pendant la fin de semaine du 24 avril.
Pour savoir si on fait un bon achat, elle recommande de regarder le curriculum vitæ de l'artiste. «Où a-t-il déjà exposé ? Y a-t-il des musées ou des collections d'art qui ont de ses oeuvres ? Le Musée national des beaux-arts du Québec a une collection prêt d'oeuvre d'art, et trois conservateurs font partie du jury. C'est déjà un bon guide de valeur», explique Mme Lacroix.
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«Le critère de la notoriété du peintre est important, celui du musée ou de la collection qui s'y intéresse aussi. Un troisième point est de savoir qui représente l'artiste. S'il se représente lui-même, il a moins de chances de succès. Si une bonne galerie l'accompagne, il a plus de chances de voir ses oeuvres prendre de la valeur», ajoute Alain Lacoursière. La galerie a en effet tout intérêt à choisir des artistes qui ont du potentiel, et elle fera leur promotion et celle de leurs oeuvres.
D'accord, mais comment s'explique le fait qu'aux yeux des experts une oeuvre prendra de la valeur par rapport à d'autres ?
«La croyance la plus fausse est que, parce que vous possédez deux yeux, vous pouvez juger. Même pour les spécialistes, c'est difficile», dit Paul Maréchal, chargé de cours au Département d'histoire de l'art à l'UQAM et responsable de l'une des plus importantes collections d'entreprise du Canada.
Contrairement à la croyance populaire, ce n'est pas non plus une affaire de bon goût. «Un de mes anciens professeurs disait : que vous aimiez ou non, ce n'est pas ce qu'on veut savoir. Ce qu'on veut savoir, c'est si l'oeuvre est intéressante, et si oui, pourquoi ?» renchérit M. Maréchal.
L'oeuvre pourra ainsi être intéressante en raison de l'originalité de la pensée de l'artiste et de son caractère marquant. L'artiste américain Andy Warhol est allé dans toutes sortes de directions au cours de sa vie. D'illustrations de boîtes de soupe Campbell à celle d'une chaise électrique, en passant par les portraits de stars comme Marilyn Monroe, Elizabeth Taylor et Jackie Kennedy. «On voit dans son oeuvre le miroir de son époque. Certains travaux peuvent paraître morbides, mais il a su bien transmettre l'esprit de l'époque. Il est la fenêtre de celle-ci», explique Paul Marchand.
Ce sont ces oeuvres avant-gardistes qui ont des chances de prendre le plus de valeur. «Dans certaines galeries, il y a des gens qui réfléchissent à un art avant-gardiste, qui veulent aller au-delà de ce qui a déjà été fait. Ça peut être intéressant. Il s'agit d'oeuvres où on est loin des calendriers pittoresques», poursuit le conservateur. Cela ne veut pas dire que les oeuvres de paysage ne gagneront pas en valeur sur le marché. Des artistes ont fait de belles carrières et se sont démarqués grâce à de telles oeuvres, mais ce ne sont pas celles que les musées rechercheront.
Et les prix ?
Va pour la démarche et les critères d'investissement, mais quel prix faut-il mettre pour qu'une oeuvre soit susceptible d'accroître sa valeur ?
Il y en a de tous les prix, disent les experts consultés, et il n'y a jamais de garantie que l'oeuvre gagnera de la valeur (elle peut aussi en perdre). Mais, généralement, pour qui pense à une première acquisition, la valeur peut osciller entre 500 $ et 3 000 $. «Avec un budget de 2 000 $ à 3 000 $, vous aurez un grand choix d'oeuvres», souligne Julie Lacroix.
Auxquelles on pourra appliquer la démarche d'investissement décrite plus haut.
Le mot de la fin appartient à l'encanteur bien connu Iégor de Saint-Hippolyte, qui rejoint la réflexion initiale d'Alexandre Taillefer. «Il faut toujours se rappeler d'abord qu'on investit dans son plaisir. Il ne faut pas acheter d'oeuvres qui ne nous émeuvent pas.»
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