Qu'est-ce qui fait qu'une équipe est performante? C'est avec cette question en tête que sept dirigeants d'entreprise québécois se sont lancés dans le programme de leadership Atteindre des sommets. Cette aventure de 10 semaines, conçue par Les Affaires et Groupe Esprit de corps, s'est conclue à la mi-avril par un défi grandeur nature dans les montagnes Blanches du New Hampshire. Notre chef de publication Julie Cailliau les accompagnait.
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C'était convenu depuis le début : l'itinéraire du Défi final serait choisi au pied de la montagne, en fonction de la capacité sportive de l'équipe et des conditions météorologiques.
Côté physique, il y a bien un mollet qui tire ici, un ischio qui a besoin d'amour là, mais rien qui ne se gère en équipe. C'est la grande forme et ce n'est pas une surprise. Depuis 10 semaines, chacun des participants suit à la lettre un programme de musculation et de dépassement collectif, afin d'être le plus fort possible, physiquement et psychologiquement, et d'apporter un soutien maximum à ses coéquipiers. Coéquipiers qui étaient de parfaits inconnus il y a seulement deux mois et demi.
La surprise vient plutôt du ciel. Il est bleu. Totalement bleu. Au sommet du mont Washington, on prévoit une température juste au-dessus de 0 et des «rafalettes» de 50 km/h. «Ce type de météo en avril, c'est extrêmement rare», admet Gilles Barbot, président fondateur d'Esprit de corps et coach, avec son associé Samuel Ostiguy, de notre petite équipe.
Pour l'adversité dans la tempête, on repassera. Mais connaissant la créativité de nos coachs, nous sommes convaincus qu'ils sauront mettre à l'épreuve notre leadership. Ça ne tarde pas à se confirmer. Au moment où nous bouclons nos sacs à dos pour le départ, Gilles nous annonce que nous allons «opter pour l'école alpine : on va porter moins de stock [exit les tentes et les vêtements les plus chauds], mais on sera plus rapides». Dès cet instant, l'objectif n'est plus seulement d'atteindre le sommet du mont Washington, mais d'être assez rapides pour traverser une bonne partie de la chaîne présidentielle.
L'engagement
Quelque part au bord de la route NH-2, au nord-est de la chaîne, nous prêtons serment tour à tour : «Je vais monter la chaîne présidentielle». C'est officiel, chacun adhère à l'objectif commun. L'engagement est confirmé. Il est 19 heures, ce 12 avril, lorsque nous nous mettons en marche, dans une atmosphère fébrile. Nous nous enfonçons dans la forêt à mesure que la nuit tombe.
Vers 22 heures, nous découvrons avec soulagement que la cabane où nous avions prévu passer la nuit est disponible. La décision de laisser les tentes dans la vallée était donc un risque bien calculé.
La Log Cabin est rustique et charmante, juste assez grande pour nous. Chaque membre de l'équipe s'active à installer le campement, qui à la recherche d'eau potable, qui à la préparation d'une soupe. La répétition faite sur le mont Royal un mois plus tôt nous aide à agir prestement. Une gorgée de bouillon tiède et hop, au «lit» !
À l'exception des coachs, presque personne ne dort vraiment. À défaut, on se détend et on pratique la technique de respiration lente et profonde enseignée pendant le programme, qui permet d'obtenir la cohérence cardiaque, un état physiologique qui favorise la récupération et diminue la tension.
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Le courage
Le réveil sonne à 4 h 15. Petits yeux, grands sourires. Malgré la courte nuit, nos leaders sont prêts pour les sommets. Nous démarrons vers 5 heures, à la lumière des lampes frontales, crampons aux pieds. En se remémorant cette partie du Défi, Martin Dupuis, de Transport Watson, traduit parfaitement le sentiment général à cet instant : «Quand ça fait trois minutes que tu as commencé à marcher et que tu as les cuisses qui chauffent, ouf, tu sais que la journée va être longue !» De fait, la dénivellation est brutale. Sur le coup, personne n'en parle. «Soyez conscient de l'impact de ce que vous dites sur le reste de l'équipe», avait dit Gilles Barbot. Tout le monde sait qu'on en arrache, tout le monde en arrache autant, alors avançons.
Comme nous gagnons la zone alpine, que les sapins rapetissent et dégagent l'horizon, le soleil se lève, projetant l'ombre du mont Jefferson sur la vallée. Somptueuse récompense de nos efforts.
Dans cette zone à la végétation rase, la neige glacée alterne avec des blocs de rochers plus ou moins stables. Pas toujours facile en crampons, fera remarquer plus tard Christian Bélair, de la start-up Credo. Mais à cette heure matinale, cet équipement est nécessaire, même s'il nous ralentit. L'ambition n'interdit pas la prudence.
Vers 7 h 30, nous prenons une pause à l'abri du vent pour retirer les crampons et croquer notre deuxième déjeuner de la journée. Cette pause, comme les suivantes, durera entre 5 et 10 minutes. Même si la météo est clémente, nous nous refroidissons très vite. La température est toujours une préoccupation dans un coin de nos têtes.
L'humilité
Nous touchons le sommet du mont Jefferson à 10 heures. Nous marchons depuis cinq heures et sur ce pic élégant, qui offre une vue à 360 degrés, nous pouvons apprécier le chemin parcouru (fierté) et celui qui reste à faire (grande respiration).
Les leçons d'affaires sont tout autour de nous. Comme dans cette déclaration de Martin, ému par le paysage : «Il faut être attentif, c'est tellement beau !» Autrement dit, par analogie : ne soyons pas obnubilés par les opérations quotidiennes, gardons l'oeil ouvert pour reconnaître, apprécier et saisir les occasions d'affaires.
Et soyons reconnaissants, ajoute Nathalie Tremblay, de Marmott Énergies : «J'ai assez vu de chefs d'entreprise qui ne se prenaient pas pour des queues de cerise. Il faut savoir dire merci, réaliser combien la vie nous sourit».
Il est vrai que la majesté de la chaîne présidentielle force l'humilité. Les sommets s'alignent les uns derrière les autres, notre équipe est forte et nous grimpons sous le soleil. La chance nous sourit. Mais à quel point un environnement favorable assure-t-il un succès ?
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L'interdépendance
Après le mont Jefferson se profile le mont Clay. Gilles Barbot offre un choix à l'équipe : la voie de gauche, plus longue et qui nécessitera les crampons ; ou celle de droite, plus abrupte, dans les rochers. L'équipe choisit cette dernière, plus directe. C'est presque de l'escalade par endroits et le défi en amuse plusieurs. C'est tout de même essoufflant. Vers midi, nous arrivons au sommet bien fatigués, alors que se dresse devant nous l'imposant mont Washington.
Le hamster commence à tourner. La beauté du paysage devient secondaire. Le ravin sur notre gauche est impressionnant, vertigineux en fait, mais on fixe notre attention sur les empreintes du marcheur qui nous précède, pour ne pas laisser l'écart se creuser, ne pas laisser l'équipe se désagréger.
L'ordre de marche devient primordial. Stéphan Parent, des Fêtes de la Nouvelle-France, solide et constant, est appelé en renfort juste derrière Pierre Marc Tremblay, de Convivia-Pacini, pour lui donner une petite poussée quand la pente s'accentue. Un autre binôme se forme un peu plus loin dans le rang. Ceux qui ont le plus de force partagent avec ceux qui en ont moins. Pousser, tirer, toutes les stratégies sont bonnes, pourvu que l'effort soit égal. De cette manière, l'équipe progresse plus vite jusqu'au sommet. «La force de l'équipe, pouvoir s'entraider, c'est une chose à laquelle je croyais déjà, mais là, je vois les effets, en particulier l'effet mobilisateur», soulignera Nathalie, le lendemain.
L'équipe atteint le sommet du mont Washington à 13 h 30. «Un record personnel !» s'amuse Stéphan. La satisfaction est inouïe. Il fait un peu froid dans les vêtements mouillés, après la grosse suée de la montée. Mais même si le petit vent nous gèle les doigts, nous nous photographions tour à tour sur nos téléphones, à côté de la pancarte du sommet. Comme un autocollant sur le pare-choc, mais en 1 000 fois mieux...
La confiance
Gilles sonde l'état des troupes. Nous venons de reprendre notre souffle et sur une échelle de fatigue de 0 à 10, notre moyenne est entre 6 et 7. Tant mieux s'il nous reste un peu de jus, parce que «ce n'est pas parce que vous en avez fini avec le mont Washington que le mont Washington en a fini avec vous !» scande le coach.
Rapidement, nous redescendons en direction du nord-ouest. En une trentaine de minutes, nous dégringolons de 1 100 pi. Les genoux et les chevilles en prennent un coup. «Ça travaille autrement, mais ça travaille fort», reconnaît Laurent Pieraut, de CS Systems.
Lorsque nous arrivons à la Lakes of the Clouds Hut, Gilles Barbot marque une pause et invite l'équipe à se réunir en cercle, la formation des grandes décisions. «Derrière moi, vous voyez le mont Monroe. Soit vous décidez de le monter avec vos sacs à dos parce que vous êtes des guerriers et que vous dites "On va prendre un autre sommet". Soit vous le faites, mais sans les sacs à dos. Ou encore, vous dites : "Atteindre des sommets, c'est bien, mais on est brulés et on veut descendre". Que choisirez-vous ?»
Hésitation. Pierre Marc, qui souffre du mollet depuis le début, se prononce : «Je n'ai ni le coeur ni le goût de monter. Je pourrais attendre ceux qui voudraient y aller et les encourager». Le reste de l'équipe débat : puisque tous s'entendent sur le fait qu'on ne laissera personne derrière, prendra-t-on l'option minimale ou trouvera-t-on les ressources pour soutenir le maillon le plus faible et pousser l'équipe vers un nouveau sommet ? Josée St-Onge, de PwC, dit qu'elle a le goût de le faire, mais qu'elle aura besoin d'aide. D'autres coéquipiers sont sur les freins. Christian a le sourire malicieux de celui qui attend de voir où sont ses appuis pour asséner l'argument décisif. Quand Stéphan fait référence à nul autre qu'Edmund Hillary, le pionnier de l'Everest, pour nous donner du courage, Christian sait que le fruit est mûr. «J'ai le vilain défaut de toujours être willing, de m'embarquer.» Pause, puis le coup de grâce : «Ma crainte, c'est toujours de revenir à l'hôtel, puis de regretter».
Tout est dit. Pierre Marc quitte le cercle et détache son sac : «On y va !» Il doutait de lui, mais il a maintenant confiance dans ses coéquipiers pour l'aider, et réciproquement. «Notre leadership en équipe s'est manifesté dans notre décision au pied du mont Monroe, puis par l'entraide dans l'effort, en se poussant, en se tenant dans la montée», se remémorera Martin.
Nous avons donc ajouté un 4e mont à notre palmarès ce jour-là, et nous avons savouré notre succès tout au long d'une longue glissade de 1 500 pi sur nos fonds de culotte dans les pentes du ravin Ammonoosuc.
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La douleur est temporaire, la fierté est durable
Le lendemain, lors de la rencontre finale de l'équipe, tous reviennent sur ce moment charnière où le Défi a pris tout son sens. «J'aimerais que chacun se rappelle comment on était au pied du mont Monroe et comment on se sentait après, a demandé Stéphan. Oui, j'étais fatigué, mais au fin fond de moi, une chose me disait qu'après tout ce qu'on a vécu, partir vers le bas ne se pouvait pas, on devait partir vers le haut.»
Gilles Barbot aussi a rempli sa mission. «Avec un programme comme ça, nous cherchons à transformer un stress en situation de joie et d'accomplissement. C'est ce qui donne la capacité à générer de la valeur.»
Au moment d'écrire ces lignes, plusieurs participants ressentent des courbatures. Mais le sentiment de fierté l'emporte. «Que ce soit dans les séries de push-ups, dans la [très pentue] côte McTavish ou au pied du mont Monroe, vous avez vécu l'importance de l'engagement, du courage, de la discipline, dit Samuel Ostiguy. Qu'est-ce que ça donnerait si vous réintégriez ça la prochaine fois qu'une difficulté énorme se présentera ? C'est maintenant que le défi commence...»
Temps total de marche : 15 heures
Distance : environ 20 km
Point culminant : 6 288 pi (1 917 m)
L'allégorie de la crevasse
Samuel Ostiguy est de tous les défis, et pas seulement ceux d'Esprit de corps. En février 2014, il était de cette poignée de fous qui se sont lancés dans le projet XPAntarctik, une aventure scientifique en autonomie complète au cours de laquelle ils ont gravi deux sommets encore inexplorés du continent antarctique. «La plupart du temps, un blizzard incroyable limitait la visibilité à quelques mètres», raconte le jeune homme de 29 ans, associé et coach d'Esprit de corps. L'expédition a duré 41 jours, mais elle aurait pu virer court. Au 5e jour, trois des aventuriers partent en reconnaissance dans le désert blanc. Samuel est 3e de cordée. François et Marina sont devant lui, mais il ne les voit pas, des intervalles de 17 mètres de corde les séparent. Soudain, la corde se tend. Une fraction de seconde plus tard, deuxième à-coup, la corde l'emporte. Il comprend que François est tombé dans une crevasse et que, s'il ne parvient pas à freiner leur chute, ce sera la fin. Il réussit à enrayer la glissade. Ce n'est pas la fin, du moins pas encore. Son harnais lui scie le corps. Il résiste de tous ses muscles. Il entend Marina crier qu'elle va lâcher. Or, comme 2e de cordée, elle aurait été la mieux placée pour poser un ancrage dans la glace pour sauver l'équipage. Samuel est un guerrier, mais l'espace d'un instant, il se sent battu. Pas assez fort pour ancrer l'équipe et remonter ses compagnons, se dit-il. Il admet qu'il y a pire façon de mourir pour un aventurier. Il veut capituler. Puis il pense à ses coéquipiers. Ceux-là comptent sur lui, y compris sa blonde qui l'attend au camp de base. Alors, il rassemble les forces qu'il ne pensait pas avoir, réussit à planter un ancrage et, au terme d'un effort gigantesque de plus d'une heure, il aide François à se hisser hors de la crevasse. Et le coach en leadership de conclure, à l'intention de tous les dirigeants : «Ceux qui sont en bas, au bout de la corde, il me semble qu'ils seront contents que le gars en haut donne tout ce qu'il a, même s'il pense qu'il n'a pas ce qu'il faut».